Le thème de la violence faite aux enfants est au cœur de ce roman imaginé par Sorj Chalandon. L’écrivain prolonge ici l’histoire vraie d’une mutinerie qui s’est déroulée au bagne pour enfants de Belle-Île-en-Mer en 1934, à travers le portrait romanesque d’un jeune fugitif appelé « La teigne ».
Tout démarre dans les années 70, lorsque Sorj Chalandon, alors journaliste au journal Libération, découvre l’histoire incroyable du bagne pour enfants de Belle-Île-en-Mer, et notamment un fait divers datant de 1934 : 56 jeunes prisonniers se sont révoltés, puis enfuis de cette prison en mer. Pour aider les surveillants et la police à mettre la main sur les fugitifs, les habitants de l’île avaient été sollicités en échange de quelques pièces. Tous les jeunes seront repris, sauf un, et on ne saura jamais ce qu’il est devenu. À partir de là, Sorj Chaladon imagine son histoire…
Et quelle histoire ! Celle d’un adolescent, presque un adulte, qui, à force de courage, de détermination et aussi avec l’aide de la chance, va réussir à s’extirper de cet enfer dans lequel lui et ses jeunes compagnons de misère subissaient tous les outrages possibles et imaginables de la part de surveillants sadiques et sans état d’âme. Surnommé « La teigne », Jules Bonneau s’est fait la belle, il a pris la tangente grâce à la générosité d’un pécheur qui l’a laissé se cacher dans son bateau… malgré l’interdiction formelle des autorités.
Mais n’en disons pas plus pour laisser le lecteur profiter de ce récit d’aventures pas comme les autres, retraçant le parcours semé d’embuches d’un jeune vaurien, endurci par la rudesse de la vie au bagne, et qui, tel un Jean Valjean, va avoir bien du mal à oublier ses réflexes de survie à son retour dans un monde d’hommes et de femmes bienveillants, à une époque où les enfants étaient bien peu considérés.
Avec ce nouveau roman, Sorj Chalandon, qui nous avait profondément touché avec son Enfant de salaud, mais également avec La profession du père (adapté au cinéma par Jean-Pierre Améris), nous propose là une histoire encore une fois poignante, extrêmement bien documentée, qui raconte la violence de l’enfermement dans ces colonies pénitentiaires, dont sans doute peu de gens ont entendu parler, et que le poète Jacques Prévert (qui apparaît subrepticement dans le livre) a évoqué dans son poème, La chasse à l’enfant :
(…) Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit « J’en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l’avaient laissé étendu sur le ciment (…)
Avec un sens du romanesque accompli, Sorj Chalandon nous tient en haleine durant 400 pages d’une histoire aux multiples rebondissements, où l’on croisera des « justes », mais aussi des êtres dénués de toute humanité. Et même si le sujet de ce livre est particulièrement noir, même si « la teigne » restera marqué toute sa vie par ces années de violence, il en ressort malgré tout une forme d’optimisme : l’idée qu’il existe, même dans les sociétés les plus rétrogrades, des hommes capables d’humanité et de générosité, quitte à défier l’ordre établi.
L’enragé est un livre qui n’est pas seulement destiné aux adultes, mais aussi à lire et à faire lire à des collégiens ou des lycéens, pour qu’ils se rendent compte que la condition de l’enfant s’est bien améliorée au fil des décennies, au moins dans la plupart de nos sociétés occidentales.
Benoit RICHARD
L’enragé
Roman de Sorj Chalandon
Editeur : Grasset
416 pages – 22,50€
Date de parution : 16 août 2023
“Enfant de salaud” : Sorj Chalandon fait la lumière sur le passé obscur de son père