Session de rattrapage pour les cancres (comme nous) qui n’avaient pas fait le voyage à St Malo : John Dwyer et ses Osees ont dévasté le Cabaret Sauvage, et l’ouïe de leurs fans, hier soir, avec un set d’une folle générosité. Le meilleur groupe extrémiste en activité ?
On est là d’abord, avouons-le, parce qu’on n’était pas à la Route du Rock, où Osees ont livré un set furieux qui a été de l’avis général l’un des meilleurs de l’édition 2023 du festival. Ce passage parisien de Osees pendant la semaine la plus déserte de l’année est donc une parfaite session de rattrapage. D’ailleurs le Cabaret Sauvage n’est semble-t-il pas complet, entre ceux des fans qui ne sont pas encore revenus de Saint-Malo, et ceux qui prolongent leurs vacances. Mais on n’est pas inquiets pour autant, on sait que, même dans une salle qui ne serait pas comble, les Californiens vont mettre le feu !
19h50 : c’est avec un peu de retard par rapport à l’horaire prévu – imputable sans doute au remplissage tardif de la fosse – que les Rennais de Guadal Tejaz investissent la belle et grande scène du Cabaret Sauvage, encore largement climatisé à cette heure. Le set démarre par une psalmodie assez impressionnante, théâtrale en diable, de Morgan Guillou, sur lequel tous les regards se braquent. Dans ce qui ressemble à une tenue de sportif, cette introduction constitue en quelques minutes le parfait résumé de la singularité de Guadal Tejaz : la voix de Morgan avec son phrasé emphatique et ses intonations rappelant tantôt Devo, tantôt Bryan Ferry (ces trémolos !), et les pas de danse de Morgan, mécaniques, frôlant la pantomime absurde, sur une musique froide et répétitive, sorte de krautrock accéléré, noyé régulièrement dans les bidouilles électroniques. Oui, Guadal Tejaz, c’est nouveau, original, impressionnant par instants, fascinant toujours. Régulièrement, les rythmes s’accélèrent, la guitare de Morgan prend le dessus sur l’électronique, on frôle l’excitation. Mais on la frôle seulement, malheureusement : ce soir, le set de Guadal Tejaz manque d’intensité – en tous cas par rapport à ce qu’on nous avait « promis ». Même sur le single Yollotl, on reste en deçà de ce qu’on pressent être le potentiel du groupe. Une soirée sans ? Ça arrive même aux meilleurs… Ou bien était-ce nous, et notre impatience de revoir John Dwyer ?
20h45 : à leur habitude, les musiciens de Osees se sont livrés aux derniers réglages sonores devant nous, et le set démarre quasiment sans crier gare en pleine balance… Le quatuor de base (John, à gauche comme toujours, les deux batteries au centre, le bassiste à droite) est désormais augmenté d’un jeune claviériste, placé derrière (!) les batteurs, ce qui lui permet, on le comprendra lors du set, de se coordonner visuellement avec « le patron » lors des nombreux passages improvisés et plus ou moins en roue libre qui constituent l’un des intérêts d’un set de Osees. Cette plus grande importance des claviers correspond logiquement aux nouvelles sonorités proposées dans le dernier album du groupe, Intercepted Message, plus synth-punk que garage psyché.
John est égal à lui-même, avec son short et ses baskets pas trop à la mode, désormais moustachu, mais il a abandonné ce soir sa traditionnelle guitare au corps transparent. Il est visiblement – et sincèrement – heureux d’être là, et va nous offrir un set d’une heure et trente-cinq minutes, donc particulièrement généreux. Et ceci, sans s’énerver contre ses musiciens (il ira même leur chercher des bières backstage pour le dernier morceau, qu’il ouvrira en utilisant une baguette du batteur le plus près de lui) ni contre son matériel qu’il n’arrête jamais de triturer, brancher, débrancher, régler, dérégler (on notera quand même une perte du micro à un moment, incident original et amusant…). A noter que le niveau sonore de la guitare de Dwyer est particulièrement élevé ce soir, ce qui est évidemment une bénédiction pour ceux qui ont des oreilles en téflon, mais nous privera largement, au premier rang, de son chant, ce qui est quand même dommage.
Au niveau du public, on aura droit dès le premier titre à l’habituelle frénésie générale, encore facilitée ce soir par le fait que la salle n’était pas complète, ce qui a permis le fonctionnement beaucoup plus fluide du moshpit. On déplorera malheureusement la présence d’une bande d’hurluberlus à la fois imbibés et défoncés qui gâcheront occasionnellement le plaisir des autres par leur lourdeur insistante et transpirante : on nous répondra que c’est sans doute inévitable que la radicalité sonique de la musique de Osees attire ce genre d’individus, mais c’est dommage qu’on ne puisse pas s’amuser et pogoter sans importuner les autres, surtout de sexe féminin. Il reste encore bien des progrès à faire dans la « culture rock » !
Comme toujours, la setlist de Osees se concentre sur les morceaux à forte intensité, alternant garage punk psyché posé sur des riffs sanglants et assourdissants, et brûlots hardcore ultra-speedés hurlés par John. Avec donc, en bonus, ces nouveaux morceaux où les synthés prennent (un peu) le dessus, comme le titre Intercepted Message et le très étonnant Blank Chems. Un bon nombre des incontournables classiques seront honorés : I Come from the Mountain (même si le bas niveau de la voix nous privera des fameux « ooohoooh » de John !), The Static God et ses accélérations punk rock, Toe Cutter – Thumb Buster… Les plus pointus des fans apprécieront l’inclusion dans la set list d’un bijou comme Web, rarement joué, mais aussi une très belle conclusion (presque) aérienne et jazzy, qui nous permet d’apprécier, enfin au calme, la virtuosité des musiciens.
En sortant de là, heureux, les oreilles, les pieds et le dos fracassés, on se dit une fois de plus que Osees sont toujours ce qui se fait de mieux en 2023 du point de vue expérience musicale, aussi bien physique que mentale. Et comme disait un vieux rocker du siècle dernier, aujourd’hui (heureusement) oublié : « Si c’est trop fort, c’est que vous êtes trop vieux ! ».
A l’été prochain, John !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
[Live Report] Oh Sees au Bataclan pour un set délicieusement assourdissant