Cette réussite de 2020, où Bryan Cranston jouait le rôle d’un père de famille dépassé par un événement trop grand pour ses épaules, avec lequel il va pourtant devoir composer, déçoit un peu avec une seconde saison qui ne renouvelle pas assez son scénario.
Rappelons d’abord que la première saison de Your Honor diffusée en plein Covid, a rencontré un réel succès sur Showtime, marquant à la fois un moment où le monde a eu le temps de regarder les séries ET le retour au format “court” pour Bryan “Heisenberg » Cranston, dans l’adaptation d’une série israélienne Kvodo (2017). Ce succès est sans doute la raison pour laquelle la chaîne américaine a tenté d’étirer le concept sur une saison 2 qui n’existait pas dans la version proche-orientale et qui, à notre avis, n’est pas le meilleur choix que la chaîne a pu faire pour cette série, bijou d’interprétation.
Rappelons de quoi il s’agissait dans la première saison… Bryan Cranston est Michael Desiato, juge aux affaires pénales de la Louisiane, région qui donne son décor si particulier à l’ensemble. Il élève seul un adolescent, Adam (Hunter Doohan) qui, un jour, percute et tue en voiture un jeune motard, s’avérant être le fils d’un membre bien connu de la pègre locale (Michaël Stuhlbarg en mafieux, comme dans Boardwalk Empire…). Desiato est confronté à un choix cornélien entre la justice et sauver la vie de son fils dont il sait qu’il subira la vengeance des Baxter s’il finit en prison. Et tout cela finit terriblement mal… L’histoire de ce dilemme et des conséquences des décisions prises par Desiato tient en haleine sur la longueur de la première saison… même si on repère quelques concessions scénaristiques à la potentialité d’un étirement sur plus d’une saison, mais suffisamment discrètes pour qu’on ne soit pas réellement pollué en tant que téléspectateur…
L’une des grandes réussites de la première saison était le casting et le jeu des acteurs, même s’il ne s’agit pas ici de casser les références du téléspectateur : Cranston sera forcément dépassé, Stuhlbarg machiavélique, Hope Davis une femme forte en apparence… Même Isiah Whitlock JR le policier roublard de the Wire reste dans son registre en campant un politicien pas tout à fait net mais jovial, qui navigue à vue pour arriver au sommet. Hunter Doohan était parfait dans la première saison en ado maigrichon et sans repère. Lilli Kay (Fia Baxter) semble plus mûre qu’une ado de 17 ans, mais arrive à créer un personnage de grande sœur barrée mais apparemment moins criminelle dans une famille qui elle l’est plus qu’elle ne semble.
Ce second round de 10 épisodes prolonge l’unité de lieu et de temps initiale, mais s’avère moins infaillible, scénaristiquement. Peter Moffat choisit de prolonger la tragédie grecque dans la continuité de l’élément déclencheur initial, en gardant le même principe d’unité de temps, de lieux, en conservant les mêmes personnages, et en tentant de proposer de nouveaux développements. Certains sont réussis, comme le rapport de Desiato avec ses amis et ses collègues, mais aussi sa grande impartialité dans les jugements qui est une manière futée de donner plus de corps à son personnage de juge.
On va découvrir cette fois plus profondément le fonctionnement d’une élection dans les communautés (inspiré de the Wire), les bandes rivales qui luttent pour le contrôles des rues de deal de la Nouvelle Orléans, les ramifications autour de la famille Baxter : ce sont là les seuls ajouts réels à l’intrigue initiale… ce qui n’est pas du tout désagréable. Mais, fondamentalement, la seconde saison continue à tenir sur les mêmes personnages principaux, et en particulier Big Mo (Andrene Ward Hammond), la cheffe des dealers autour desquels gravitent le grand frère du défunt, le petit frère d’un autre, le maire, le second de Big Mo, les enquêtrices, le flic louche… Quand on cumule tout cela, les scénaristes flirtent avec le too much non crédible, dans les hasards qui mêlent et rassemblent plusieurs des protagonistes
A ne pas vouloir aérer la série grâce à de nouvelles intrigues (a-t-on le droit le faire quand on adapte une série existante ?), la saison 2 échoue à renouveler la grande réussite de la première. Les personnages secondaires le restant majoritairement, tout doit in fine s’articuler autour des mêmes protagonistes, au point que, parfois, pour faire avancer l’histoire, le spectateur passe par des scènes “crochets”, où un personnage prend une soudaine importance qu’il reperd ensuite, qui n’a servi que pour créer une nouvelle interconnexion entre les protagonistes de la tragédie. L’arc narratif de Eugene et Little Mo est l’un des seuls qui maintienne l’intérêt pour les seconds couteaux de l’histoire, mais, sinon, il faut supporter toute une série de débuts d’intrigues bien vues, qui pourtant se referment en cul de sac ou se transforment en eau de boudin, alors que l’on pouvait penser qu’elles serviraient de tremplin à de nouvelles évolutions du scénario…
Dans d’autres séries au casting plus faible, aux dialogues moins mal écrits, ou à la photographie moins intéressante (la Nouvelle Orléans est décidément, depuis Treme, une actrice à part entière, tout cela serait catastrophique… Dans Your Honor, parce que l’ensemble est bien agencé, bien filmé, bien casté et TRES, TRES bien interprété, ça passe…
On se contentera donc de pointer que, oui, oui, cette saison 2 est avant tout une habile tentative de générer de l’audience sur une recette qui a cartonné en 2020 : ce qui entraîne une petite baisse d’envie pour le spectateur, même si on est loin d’une recette indigeste.
Denis Verloes
Your Honor – saison 2 (série terminée)
Série TV US créée par Peter Moffat
Genre : Drame, Thriller
Avec : Bryan Cranston, Hope Davis, Michaël Stuhlbarg, Isiah Whitlock JR, Lilli Kay, Andrene Ward Hammond…
10 épisodes de 60 min mis en ligne de janvier à mars 2023
[Canal+] Your Honor : une mini-série en forme de thriller, riche en rebondissements