Suivant de manière très réaliste le parcours d’une jeune étudiante de classe préparatoire, la voie royale est un film dont on peine à saisir le but, mais qui impressionne par ses qualités formelles et par l’honnêteté de son propos.
On sait – mais le sait-on encore vraiment ? – que le système français, unique au monde, des « Grandes Ecoles » (et des classes préparatoires y donnant accès en priorité) fut conçu par Napoléon avec l’ambition de former les élites du pays en permettant à chacun, quelle que soit son origine sociale, d’avoir accès à un enseignement du plus haut niveau : la méritocratie avant l’heure, et dans l’esprit des concepteurs une manière d’empêcher que les nantis de l’aristocratie et de la bourgeoisie ne trustent tous les postes importants. Mais, inévitablement, la résistance du pouvoir établi a fait que le principe vertueux de départ n’a guère empêché ce système de devenir lui-même élitiste… Et c’est sans doute là le seul véritable sujet de la voie royale (qualificatif souvent donné aux classes préparatoires…), le nouveau film de Frédéric Mermoud, un réalisateur qui n’a pas particulièrement brillé jusque là (on lui doit par exemple les 6 épisodes de la très mauvaise série l’île aux trente cercueils !).
De prime abord, au sortir de la voie royale, il est probable que n’importe quel spectateur, au delà du plaisir pris devant un film bien mis en scène, excellemment interprété et nourri d’une saine tension, se demandera de quoi voulaient parler Mermoud et ses co-scénaristes Anton Likiernik et Salvatore Lista. Les thèmes se bousculent littéralement dans l’histoire, finalement assez sage et prévisible, de Sophie, une jeune fille venant du milieu agricole confrontée à la pression de la « Taupe » : la voie royale traite tour à tour – et à la fois – du manque d’assurance, voire du complexe des jeunes issus de milieux moins privilégiés quand ils se frottent à la grande bourgeoisie (ici lyonnaise, fort bien peinte en une paire de scènes à la superbe violence feutrée), de la difficulté rencontrée par les élèves jusque là considérés comme doués quand ils entrent en compétition avec plus forts qu’eux, des mécanismes d’éducation et de motivation si particuliers – potentiellement destructeurs – des Prépas, de la manière dont on survit face aux défis quotidiens monstrueux grâce à l’amitié et « l’esprit de corps »… Et même, ce qui est sans doute le point le plus nébuleux du scénario, des attentes que peuvent avoir ces gosses doués par rapport aux Grandes Ecoles qu’ils souhaitent tellement « intégrer ». Il y a aussi ceux qui craquent, et ceux qui réalisent, comme le très beau personnage de Diane (Marie Colomb), que cette « voie royale » n’est pas pour eux.
Et tout cela, c’est beaucoup, surtout si on y ajoute encore les difficultés économiques de l’agriculture française et le mouvement des gilets jaunes, ainsi que le peu d’inspiration que représentent pour la jeunesse les Giscard d’Estaing, les Bernard Arnault et consorts… Et pourtant, et pourtant, qui est passé par ce système d’éducation et de sélection si particulier ne pourra qu’être bluffé par la justesse de tout ce qui est montré ici, et qu’il / elle aura probablement vécu à sa manière.
S’il y a toutefois une chose que l’on reprochera réellement au film, c’est d’avoir voulu raconter aussi – et beaucoup trop rapidement – la seconde année de préparation aux concours, que Sophie effectuera « en dehors de la voie royale », à l’université, pour en arriver jusqu’au concours d’entrée à l’X. Cette dernière partie du film est finalement « hors sujet », et ne bénéficie pas de la crédibilité de tout ce qui a précédé. Il aurait été beaucoup plus impactant de terminer le film sur « le choix de Sophie » de poursuivre ses rêves sans suivre « la voie royale » : cela aurait justement focalisé le film sur le dévoiement du concept originel des Grande Ecoles et de la préparation à leurs concours d’entrée…
Maintenant, il faut admettre que la voie royale fonctionne avant tout grâce à ses interprètes, et en premier lieu la passionnante Suzanne Jouannet dans le rôle principal : elle est de tous les plans, et elle constamment bouleversante, lumineuse. En un mot, on tient peut-être là une nouvelle actrice française de haut niveau, et quel que soit l’intérêt qu’on puisse porte au sujet du film, Suzanne Jouannet est à elle seule une raison suffisante de voir la voie royale.
Eric Debarnot