En confiant le récit de sa vie à un écrivain, Sarah devient (sur le papier) Susanne. Eric Reinhardt tisse ainsi un roman singulier dans lequel il déploie encore une fois tout son talent et sa finesse pour emmener le lecteur dans une histoire touchante et pleine de surprises.
Décidément, dans les romans d’Eric Reinhardt, les femmes adorent se confier à des écrivains. Dans L’amour et les forêts, Bénédicte, une femme victime d’un mari toxique, racontait sa descente aux enfers. Ici, la femme s’appelle Sarah, elle a 45 ans et décide un jour de 2018 de prendre contact par mail avec un auteur (peut-être après avoir lu l’amour et les forêts ?) pour lui raconter ses problèmes de couple. Sarah était architecte avant d’arrêter son activité professionnelle suite un cancer du sein. Depuis, elle reste à la maison, se consacre à l’écriture et à la sculpture. Mère de deux enfants, elle est mariée depuis 22 ans avec un homme, menant une vie de couple en apparence tranquille et sans histoire. Pourtant, Sarah se sent délaissée par son mari qui passe ses soirées au sous-sol sans qu’elle sache vraiment ce qu’il y fait. Las de cette situation, Sarah décide, pour susciter une sorte d’électrochoc chez son mari, de quitter pour un temps la maison familiale et d’aller s’installer dans un appartement. Une décision qu’elle va annoncer à son mari lors d’un dîner au restaurant, et qui ne va provoquer aucune réaction de ce dernier. Elle qui se pensait en position de force, capable d’amener une remise en question chez son mari, va voir finalement son choix se retourner contre elle, et l’entraîner dans une situation totalement inextricable.
L’histoire de Sarah va prendre vie sous la plume de l’écrivain dans un récit où la fiction et la réalité vont s’entremêler, où le lecteur va voir se dessiner un jeu de miroir à trois facettes. Ainsi va naître un personnage de fiction nommé Susanne, dont la vie est calquée ou presque sur celle de Sarah, à quelques détails près.
Si au départ, la construction du récit, avec ce personnage double, peut paraître quelque peu confuse, au fil des pages vont apparaitre petit à petit les différences entre Sarah et Suzanne, avec entre les deux, l’écrivain, véritable metteur en scène de la vie de Susanne, qu’il façonne sous le regard de Sarah.
Au-delà de cette astucieuse mise en abyme, il est question dans ce roman de ce qu’est une œuvre en construction, un roman ou une peinture, avec des motifs, des nuances qui se dessinent et qui emportent leur créateur, mais aussi le lecteur… Un lecteur qui se laisse porter par le style toujours aussi élégant et raffiné d’Eric Reinhardt, imaginant cette histoire étonnante, ponctuée de dialogues vifs, extrêmement bien construits et qui sonnent juste, que ce soit entre Sarah et son mari, ou avec ses deux enfants, mais également avec ses colocataires lorsque celle-ci se retrouve installée dans la maison d’une amie.
Sarah, Susanne et l’écrivain est un roman captivant et très ludique dans sa construction, montrant une nouvelle fois des femmes fragiles, aux prises avec des hommes pas toujours bienveillants.
Et comme dans l’amour et les forêts, on se laisse happer par ce récit très dense qui flirte par moment avec le surréalisme, mais qui est au fond, dégage un réalisme assez effrayant.
Benoit RICHARD