Amaury Barthet, dans un premier roman très réussi, brosse un tableau sans complaisance de notre société où la réussite sociale requière trop souvent l’obtention d’un diplôme, si possible prestigieux, faisant fi des qualités intrinsèques voire professionnelles de l’individu. Son récit palpitant, son naturalisme, son humour acide et certains de ses infimes travers ne sont pas sans rappeler Houellebecq : Bref c’est à lire !
En 1994, Houellebecq écrivait Extension du domaine de la lutte, roman décrivant l’existence maussade d’un cadre moyen nous donnant à lire les faux-semblants de nos sociétés modernes. En janvier 2023, Anne-Laure Delaye dans son premier livre, La poésie des marchés (chroniqué dans les pages de benzinemag.net), dénonçait, via un récit poético-rigolo, la vacuité du travail des cadres dans les entreprises. Pour cette rentrée littéraire, Amaury Barthet avec Le diplôme dresse lui aussi un portrait à charge du monde actuel (et passé) où finalement seule la renommée du diplôme que vous avez pu ou non obtenir dans votre jeunesse vous ouvrira les portes de la réussite sociale, voire politique. Il met ainsi en lumière, comme avant lui Bourdieu, que l’accès aux diplômes prestigieux dépend de votre milieu social et désormais de vos capacités financières (un Master à Sciences-Po coûte jusqu’à 20 000€). Une fois ce sésame obtenu (et quelque soit la manière comme nous le verrons par la suite), tout sera alors permis, c’est ce que nous propose de découvrir, avec une verve cynique et souvent drôle, l’auteur.
Rassurez-vous, nous ne vous proposons pas la lecture d’un essai sociologique soporifique mais bien de vous plonger dans un roman qui peut se lire d’une traite tant la personnalité des personnages, leurs péripéties et l’intrigue tiennent en haleine le lecteur jusqu’à la dernière page.
L’incipit du livre : « Au fond, j’avais hâte d’être à la retraite » nous permet de découvrir Guillaume, jeune professeur désabusé de banlieue, qui enseigne mollement l’histoire-géographie. Celui-ci a abandonné toute velléité pédagogique : « Mes cours s’apparentaient à des séances de garderie chaotiques au cours desquelles je ne tentais même plus de me faire entendre. ». En parfait anti-héros houellebecquien il analyse que ses six premières années professionnelles « s’écoulèrent ainsi avec fadeur, sans joie ni souffrance particulière, de sorte que j’atteignis l’âge de trente-deux ans en étant, on pouvait le dire, passé à côté de ma vie. ». Coté personnel ce n’est guère plus brillant, nous le découvrons alors qu’il se fait plaquer par Cécile avec qui il était en couple depuis douze ans. Ne voulant pas se laisser abattre il se pose alors une question qu’on peut qualifier de fondamentale : « Qu’aurait fait Nicolas Sarkozy à ma place ? ».
Il va donc s’inscrire dans un club de fitness afin de « renforcer » son potentiel érotique, on découvrira par la suite que Guillaume est assez porté sur la chose…en bon anti-héros de qui on sait. Alors qu’à seize ans une fille de sa classe repoussant ses avances lui avait dit « Je ne vais pas sortir avec une victime », Guillaume se sent toujours : « Victime, je l’avais été tout au long de mon existence, de mon frère, de ma conjointe, de mes élèves et plus largement de la société française dans son ensemble, qui méprisait le métier d’enseignant. ».
Tout va changer dans cette salle de sport où Il fait la rencontre de Nadia Azzaoui, une vendeuse de chez Zara, « une fille fondamentalement normale » qui « malgré son apparente banalité » avait des « références culturelles incongrues qu’elle lâchait dans la conversation comme un cheveu sur la soupe ». Ce qu’Amaury Barthet décrit (dénonce ?) c’est le parcours de cette jeune provinciale issue de l’immigration que ses parents ont poussée à faire des études dans une faculté sans renom de province où « une succession de profs dépressifs enchainaient des cours soporifiques dans un amphi menaçant de s’écrouler. » où « au bout de trois mois, la moitié de la promo avait décroché » et qui, malgré sa persévérance pendant trois ans, se retrouve avec une licence mais des compétences « qu’aucun employeur ne recherchait. ». Conclusion : « Pour elle l’histoire était déjà écrite, elle enchainerait des jobs abrutissants pendant 172 trimestres pour finalement toucher une retraite équivalente au Smic en Roumanie. ».
Guillaume, par amour, pour donner un sens à sa vie ou rebondir décide de donner tort au déterminisme social et d’aider Nadia, elle aussi confite d’amertume, en lui proposant : « Mettons que tu disposes d’un bon diplôme et d’une solide expérience en entreprise. Est-ce que tu aurais envie d’accéder un poste de responsabilité ? ». Je m’arrêterai là évitant de vous divulgâcher la suite car les rebondissements vont s’enchaîner pour le plus grand plaisir du lecteur.
Les autres personnages clefs du récit Le diplôme sont Henri, frère de Guillaume, qui, à la différence des deux principaux protagonistes « estampillés comme des étudiants de fac », serait toujours « reconnu comme un brillant HEC ». Sa belle-sœur Eva est également archétypale mais malheureusement proche de la vérité. Nous avons ainsi droit à un dîner dans les beaux quartiers où nos deux héros se voient asséner, par ces mêmes, des propos définitifs comme « Quand on pense à la quantité d’argent public qui est englouti dans l’Éducation nationale…Et quand on voit le résultat que cela donne. ».
Enfin et pour être complet dans la galerie des personnages, n’oublions pas Anaé, une escort girl qui vend ses charmes à Guillaume pour pouvoir se payer une école de journalisme…Amaury Barthet abuse parfois de quelques passages érotiques qui n’apportent pas grand-chose au récit si ce n’est de donner potentiellement une interprétation puritaine « vieille droite » au roman : on est souvent puni par où on a pêché. Je ne dévoilerai rien, là encore, mais Anaé va se révéler un autre personnage clef du roman, elle permet également à l’auteur de pointer du doigt les dangers d’une certaine presse dite rigoureuse, derrière les faits il y a aussi des individus. Sommes-nous tous parfaits et n’est-ce pas la société qui « nous a définitivement abimé » comme chantait Gainsbourg. C’est sans doute une des morales que nous pouvons tirer de cette fable ?
Amaury Barthet dans Le diplôme embrasse beaucoup de sujets qui empoisonnent notre société actuelle, il va même jusqu’à explorer les arcanes politiques et révéler, là aussi, la vacuité des ambitions qui les animent. L’auteur écrit à la manière d’un naturaliste donc même s’il dénonce il ne prend pas fondamentalement parti car la fin du roman offre un grand champs des possibles quant aux futurs de tous les personnages. On pourra certes gentiment reprocher à l’auteur d’avoir certains tics d’écriture houellebecquienne mais il reste que Le diplôme est avant tout un excellent premier roman qui se dévore en vous incitant à réfléchir sur ce qui nous entoure : recommandé.
Éric ATTIC