Alain Pacadis méritait qu’un roman lui soit dédié, et il méritait que ce roman soit grand : c’est désormais chose faite. Entre étude psychologique et étude de mœurs, écrit et composé avec une maestria incroyable, Alain Pacadis, Face B est un premier roman absolument bluffant. À lire !
Alain Pacadis fut, à son époque, une vraie star — la « première star de Libération » (Alexis Bernier) ! Chroniqueur du rock et du punk, chroniqueur de la nuit (parisienne), Alain Pacadis était aussi un véritable artiste de la vie nocturne, de la vie en général. Celui qu’on a surnommé le « dandy punk » était un personnage dont l’existence semble s’être déroulée au-delà du réel. Un personnage flamboyant et unique. Un peu oublié maintenant, peut-être, Alain Pacadis fût une étoile. Une étoile filante. Une vie de 37 ans, à peine, qui s’est même concentrée sur une période plus courte.
La vie d’Alain Pacadis commence quasiment avec le suicide de sa mère, qui lui explique dans la note qu’elle laisse qu’elle veut lui permettre de vivre sa vie… quel poids à porter ! Pacadis a 21 ans. Il lui en reste 16 à vivre (ce que personne ne sait, évidemment), et il va les brûler par les deux bouts dans un élan, une pulsion punk (effectivement) radicale – pour lui, le futur ne semble pas exister, seul l’instant compte. Jusqu’à cette fin, pasolinienne, sordide et grandiose. 16 ans d’expériences uniques, les voyages (Turquie, Afghanistan), les rencontres incroyables (les New York Dolls lors d’un voyage à Paris ; Nico, qui va changer radicalement sa vie); les substances hallucinogènes et interdites, les cuites mémorables et les nuits terminées sous la grande table de la salle de rédaction de Libé…
Il n’était donc que justice que lui consacré enfin un roman, un récit entre réalité et fiction. On peut donc remercier Charles Salles d’avoir comblé ce manque avec son Alain Pacadis, face B. Mais, évidemment, pour donner la mesure de cette existence hors-norme, il fallait un bon roman, un très bon roman. Et c’est ce qu’a justement réussi Charles Salles. Alain Pacadis, face B est parfaitement construit et remarquablement écrit – une langue souple et fluide, subtile et légère, qui rend compte du cours sinueux et entortillé, mais grandiose, de la vie d’Alain Pacadis, et qui nous met aussi au contact de ses émotions et de ses sentiments, de ses peurs et de ses angoisses, de ses joies, de ses attentes. Ce roman nous fait découvrir que la star de Libé, la star qui brillait dans les nuits parisiennes, ce personnage de fiction, était un homme, un être de chair et de sang, de sentiments et d’émotions. Pas un seul moment d’ennui dans ce livre. Pas un mot de trop, pas une phrase déplacée. Tout sonne juste. Alain Pacadis, face B est un roman humain et émouvant, ému, respectueux aussi.
Alain Pacadis, face B est un peu plus que cela. On ne peut pas raconter la vie de quelqu’un comme Alain Pacadis sans parler de la période. Charles Salles nous (re)plonge aussi magistralement dans les années punk, post-punk, les années SIDA. Il nous rappelle que les années 1970 étaient aussi celles où Gabriel Matzneff se livrait à ses turpitudes (sans que cela ne choque grand monde, y compris à la rédaction de Libération) et que le gauche n’était pas franchement à l’aise (et c’est un euphémisme) avec l’homosexualité. Charles Salles ne nous raconte pas seulement la face B de la vie d’Alain Pacadis, il nous raconte aussi ce qui est la face B d’une époque. Une face un peu obscure qu’on regarde aujourd’hui avec des pincettes. Mais c’était avant. Et Charles Salles ne juge pas. Il raconte. Et nous laisse nous faire notre avis sur la question. Un grand roman.
Alain Marciano