Beau succès que ce samedi à Rock en Seine : une jolie diversité des musiques offertes et un public venu nombreux, alors qu’il faisait à nouveau bien chaud au Parc de Saint-Cloud. On vous raconte…
Il y a eu un bon côté à l’annulation, quasiment à la dernière minute, de la venue de Florence + The Machine, au moins pour les organisateurs : c’est que l’ajout de Cypress Hill au programme a ramené un bon nombre de spectateurs supplémentaires pour cette journée du samedi, qui sera visiblement bien plus remplie que la veille. Quand on n’est pas fan de hip hop, on en perçoit surtout négativement l’impact sur les files d’attente aux bars et aux toilettes, mais on est évidemment heureux pour Rock en Seine…
14h40 : « We are Chromeo, the funky lords, nous sommes Chromeo, vos cousins du Canada ! » Jouer de la disco, même rebaptisée electro-funk, même chromée, surtout chromée d’ailleurs, à deux heures de l’après-midi sous le soleil, ce n’est pas gagné. Heureusement que ce duo américano-canadien, qui veut nous faire revivre l’époque des boules à facettes et du triomphe de Travolta, est amusant et sympathique (sans parler de « sexy » puisque Wikipédia nous avait appris que Dave 1, le grand échalas qui officie au premier plan, fut élu « professeur le plus sexy » de l’université où il enseigne !). Malheureusement, Le look oriental, la manipulation de guitares quand on n’en joue pas, le style tout chrome du matériel (dont des claviers carapacés pour ressembler à des barbecues, de l’avis d’amis experts en activités estivales !), l’utilisation d’une talk box pour faire des blagues, tout ça incite à la prudence. On nous demande de lever les bras, crier et chanter : on a du mal, mais on obtempère. Dans la fosse, les basses sont inconfortablement fortes, ce qui privera un peu cette disco pleine de clichés de son fun. Bref, tout ça est décevant, assez mauvais par instants, en tout cas bien en deçà de ce qu’on espérait.
16h : contrairement à certaines prévisions météo qui parlaient de risques d’averses, c’est le grand soleil et la grande chaleur qui accueille nos chéris de Altin Gün, et on a envie de dire que, quelque part, ça leur va très bien, à eux et à leur musique. Merve est rayonnante, visiblement ravie de la popularité du groupe, la foule s’étant densifiée de manière impressionnante devant la scène, sans que ce soit le fait de la popularité d’une grosse tête d’affiche en fin de soirée (pas encore de fans de Cypress Hill et encore moins des Chemical Bros autour de nous…). Le set a démarré au quart de tour mais Altin Gün nous offrira une montée en puissance progressive (avec un Doktor Civanım particulièrement réjouissant), où chaque titre construit par-dessus le précédent, jusqu’à arriver au bout de 30 minutes à une parfaite incandescence. Le focus semble d’ailleurs plus porté sur le rock psyché et moins sur les nouveaux titres « dance ». La combinaison de la guitare de Thijs et du saz d’Erdinç – tous deux d’excellents musiciens, le mot « virtuose » venant à l’esprit, fonctionne parfaitement bien, comme sur une longue version explosive de Yali Yali, et le set s’élève bien au-dessus de ce que l’on avait vu à Lévitation. Oui, cet après-midi, Altin Gün sont intouchables, il faut bien le dire !
17h35 : un bon festival ça doit être surtout l’occasion de découvrir, entre deux concerts que l’on attend, des artistes ou des groupes qu’on n’aurait pas été voir sinon. The Amazons, par exemple, sont a priori peu inspirants (on ne dit pas « peu inspirés ») sur disques : on avait un peu l’impression d’écouter de la new wave des années 79-80, quand, dans la lignée de U2, de nombreux groupes allaient chercher la recette du succès dans un lyrisme qui allait devenir de la grandiloquence, et des mélodies faciles à reprendre en chœur en tenant un briquet au bout du bras (bon, maintenant, ce serait un smartphone !). En live, c’est tout autre chose : si ça commence certes dans un registre british rock plus qu’usé, The Amazons sortent par le haut de ce qui ressemble à une impasse. Le batteur tape dur, les solos de guitare deviennent de plus en plus incisifs, et Matt Thomson le chanteur – qui doit souffrir tout en noir face au soleil ! – se laisse porter par la furie du groupe : l’intensité du set dépasse rapidement tout ce qu’on attendait. La foule grossit autour de la petite scène Firestone, attirée par l’énergie qui se dégage du groupe. Tout le monde danse quand The Amazons propulse leur Black Magic vers les cieux cléments du festival. Et d’un coup ça devient très excitant, même si ça ne révolutionne évidemment rien : ça s’appelle la magie du rock n roll, les enfants ! Il nous faudra quand même revoir The Amazons dans les conditions plus intimes d’un concert en salle pour vérifier que nous n’avons pas été trop enthousiastes, pour le coup !
18h30 : ce n’est pas forcément rassurant de voir la scène du Bosquet envahie par des festivaliers britanniques : disons que ça confirme la position de Dry Cleaning comme groupe à sensation outre-Manche. Et puis la belle lumière d’un après-midi de la fin août convient-elle aux atmosphères sombres de la musique du groupe !? En tous cas, Florence Shaw a revêtu une robe rose bouffante sous son long manteau noir, histoire de prendre acte que nous ne sommes pas dans une cave londonienne. Dry Cleaning nous livreront un set conforme à leur recette : il y a ce groupe post punk doué, avec une guitare particulièrement séduisante (Lewis Maynard peut en remontrer à la majorité des jeunes post-punks de la planète !), pas loin parfois de la virtuosité, et une section rythmique qui peut alternativement faire danser ou trembler la terre. Les longs récits dévidés par Florence, avec les expressions théâtrales qui vont bien, intéresseront difficilement ceux qui ont du mal avec l’anglais ou qui n’ont pas appris les textes par cœur. Bref, on oscille entre admiration quand la musique monte en intensité et vague ennui entre temps, avec une setlist qui est principalement composée des titres du second album, Stumpwork, moins impressionnant que le premier. Florence nous annonce que ce set conclut de longs mois de tournée et sera donc leur dernier pour un moment, ce qui les laisse dans un état mi triste mi heureux. C’est bien, mais est-ce pour autant que ces émotions complexes nous auront été transmises ? Ce n’est pas certain, même si des poussées d’énergie nous ravissent çà et là (Scratchcard Lanyard est superbe !), Dry Cleaning restent une sorte d’énigme fascinante, mais dont la résolution ne semble pas réellement nécessaire. Résultat, ceux qui aimaient déjà le groupe ont été ravis, les autres n’auront pas été plus convaincus…
19h40 : c’est décidément à la Scène Firestone que ça se passe, ce samedi : Coach Party, quatuor de l’Île de Wight avec deux filles qui jouent de l’indie rock avec des mélodies pop – d’où le parallèle inévitable avec Wet Leg – vont nous remettre le cœur en joie en trois quarts d’heure de pur plaisir (oui, le plaisir, cette notion étrange que Dry Cleaning ont tant de mal à intégrer !). Ne retenons pas contre eux qu’ils ont été choisis par Indochine comme première partie au Stade de France, apprécions plutôt la pure brillance de chansons comme FLAG (Feel Like A Girl), I’m Sad ou Everybody Hates Me, qui mettent instantanément le feu tout en nous gravant leurs mélodies joyeuses et fières. Il y a dans la musique de Coach Party – et là on est loin de Wet Leg – plus d’influence de l’indie rock US, et en particulier des Pixies, que de la pop anglaise. Ces éruptions de violence au milieu de mélodies ingénues, cette fascination bruitiste, avec une guitare volcanique, tout ça est formidablement réjouissant. On a hâte d’écouter leur premier album, qui sort bientôt, et de les revoir sur scène. Allez, coup de cœur du samedi, et les grands sourires de Jess Eastwood et Steph Norris qui réalisent que quelque chose est en train de se passer autour de Coach Party n’y sont pas pour rien non plus.
20h40 : on est arrivés à la grande question du jour, qui nous taraudait : est-ce que Yeah Yeah Yeahs, ça vaut encore la peine, si on se souvient de leurs tonitruants débuts, et si on considère le rôle pivot de Karen O dans la jeune scène new-yorkaise au début des années 2000 ? Nombreux sont les amis mélomanes qui ont préféré aller voir Brutus, pour ne pas prendre de risques, mais la Scène de la Cascade est bondée, preuve que Karen O n’a rien perdu de son aura (au contraire ?). Et elle effectue une entrée en scène particulièrement impressionnante, sur l’emphatique Spitting Off the Edge of the World : elle s’est construite – car on sait qu’elle est la créatrice de ses propres vêtements, depuis toujours – une robe particulièrement spectaculaire… qu’elle va d’ailleurs peu à peu déconstruire pour pouvoir mieux bouger… Le public explose de joie, et il faut admettre que c’est très fort, et ce d’autant que Karen n’a rien perdu de son allure juvénile, ni de sa voix acide.
Le problème, pour les nostalgiques d’une époque « indie » où la scène new-yorkaise explosait d’énergie créatrice juvénile, c’est qu’on est clairement avec Yeah Yeah Yeahs maintenant dans le « grand spectacle », comme s’il s’agissait pour Karen O de prétendre au trône laissé vacant par Madonna ! Heureusement, le riff nerveux de Pin vient nous rappeler que Nick Zimmer est là aussi, tout éclipsé qu’il soit par la flamboyance de Karen. Le public ne se tient plus de joie, bien entendu, mais on est – et c’est logique, attention ! – bien loin du rock acéré de Fever to Tell. Mais les synthés de Zero injectent de la frénésie dans la danse, bienvenue au milieu d’un set qui manque clairement de légèreté.
La setlist visitera ainsi tous les albums du groupe, à l’exception notable du pourtant pas si mauvais Mosquito, et il est indiscutable que Karen O remporte son pari à Paris : prouver qu’elle n’est pas une icone dépassée d’un passé qui ne fait plus rêver que les vieux rockers, mais qu’elle pourrait être une vraie superstar. Même si, et c’est logique mais regrettable, sa musique joue la carte d’un spectaculaire plutôt consensuel. Car si à la fin, Karen nous rappelle qu’elle avait une « date with the night », ce n’est pas sûr que nous ayons encore envie d’aller « marcher sur l’eau » avec elle.
Allez, la fatigue accumulée nous oblige à rentrer sans aller jeter un coup d’œil à la prometteuse Ada Oda, mais il faut bien garder un peu de forces pour la journée de dimanche !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil, sauf Chromeo (Eric Debarnot)
Bravo Eric pour les photos et merci pour ce compte rendu