En évoluant du conte africain avec son imagerie attendue vers un récit plus ancestral et tragique, Banel & Adama révèle le talent d’un jeune cinéaste qu’il faudra suivre avec attention…
La sélection en compétition au Festival de Cannes peut se révéler un cadeau empoisonné : voir un premier film propulsé au milieu des habitués et de la crème du cinéma mondial a non seulement de quoi intimider, mais peut aussi desservir la réception d’une œuvre qui sera immanquablement questionnée sur sa légitimité à figurer parmi les grands noms et patriarches du 7ème art. Le premier film de Ramata-Toulaye Sy, scénario de fin d’étude à la FEMIS, pourra donc se voir injustement taxé d’œuvre entrée ici par quota, dans la mesure où il coche toutes les cases d’une diversité que le comité de sélection appelle de ses vœux.
Banel & Adama est pourtant un projet solide et ambitieux, qui dépasse de loin les archétypes du genre qu’on a déjà pu voir en compétition ces dernières années (voir Yomeddine en 2018), à savoir une fibre documentaire, sociale et dénonciatrice excusant les maladresses des débutants et du manque patent de moyens.
Cette histoire d’amour dans un village reculé du Sénégal commence en effet comme un conte, et brasse toute l’imagerie attendue par le public occidental sur une Afrique lumineuse et colorée. L’histoire se concentre sur un couple fusionnel dont les sentiments semblent pouvoir venir à bout du poids ancestral de la communauté, dans une atmosphère lorgnant vers le réalisme magique. La photo est superbe, certaines images marquantes (même si le pastiche de Malick est, au départ, un peu trop littéral), comme cette tâche sisyphéenne consistant à désensabler une maison pour, un jour, pouvoir l’habiter. Mais l’évolution du récit, brûlé par une sécheresse digne des châtiments divins, dirige la communauté vers un souffle plus ancestral et tragique, dans lequel les archétypes vont se fissurer : un jeune homme réservé, presque dominé, par une femme dont la passion se mue, à l’image de modèles comme Phèdre ou Médée, en un souffle noir et mortifère. Banel, en rupture avec les pères, aveuglée par l’amour, accompagne l’infertilité générale par son refus de maternité et des pulsions meurtrières qui font basculer l’atmosphère, naviguant entre le thriller et les visions apocalyptique. L’image elle-même, progressivement désaturée, en osmose avec la déraison de la protagoniste, charrie un souffle aride et un montage qui fait de l’astre solaire un juge implacable des tragédies humaines.
L’écriture patine certes un temps par instants, et le contraste entre la puissance visuelle et le retour aux enjeux plus intimes et modestes dessert une narration qui ne parvient pas toujours à tenir sa ligne de crête, mais les références discrètes à des enjeux plus contemporains (le dérèglement climatique) et l’histoire suppliciée de l’Afrique (la question des ressources, de la ville hors champ et la mention symbolique de l’esclavage) sont traitées avec finesse. Cette volonté, surtout, de sortir des ornières pour une expérience esthétique et sensitive est on ne peut plus salutaire, et affirme avec force la naissance d’une cinéaste dont il nous tarde de voir l’œuvre s’épanouir vers de nouveaux horizons.
Sergent Pepper