Non content d’avoir signé un magnifique retour en 2017, Slowdive double la mise avec Everything is Alive, en augmentant sa discographie d’un cinquième album moins décisif, mais toujours aussi enivrant.
La musique de Slowdive n’a jamais semblé aussi actuelle, alors qu’il faut remonter plus de deux décennies en arrière pour aller quérir l’origine du succès de ces ambassadeurs du shoegaze. On pourrait parler de « légende » pour évoquer Slowdive, mais ce serait lui mettre un pied dans la tombe, alors même que son retour retentissant en 2017 a prouvé qu’il n’était ni mort, ni prisonnier des années 1990. Mieux, ce retour a permis au groupe de fédérer de nouveaux auditeurs, plus jeunes, et qui se confondent avec les plus anciens sous une même identité, au nom d’une même passion pour les compositions éthérées, la distorsion et les brumes sonores.
On ne cessera pas de sitôt de parler de l’influence de Slowdive sur pléthores de projets qui sortent aujourd’hui, qui sortaient il y a dix ans et qui sortiront encore dans vingt ans, et si c’est une inspiration bienvenue, ce plaisir est sans commune mesure avec ce qu’un produit originel des grands patrons du shoegaze peut nous asséner. A ce titre, everything is alive n’est ni plus, ni moins que Slowdive exerçant sur ce terrain qu’il a lui-même battu. Ce cinquième album est un condensé de tout ce qui a pu germer dans l’esprit de Neil Halstead après la sortie de leur album éponyme, un récit optimiste et dédié à la mère de Rachel Goswell et au père du guitariste, même si l’ensemble des huit titres suggèrent plus que n’imposent une voie à suivre.
C’est au cœur d’un brouillard de synthétiseurs que nous cueille shanty, longue plage introductive et où se confondent au loin les arpèges signatures du groupe. Les voix de Rachel et Neil le transpercent parfois, puis rejoignent l’indistinct, et s’effacent ensuite sur prayer remembered. Le format de l’album est court, alors mieux vaut laisser le temps se dilater et les sens décélérer, afin de s’installer dans cet entre-deux où les couleurs se fondent entre elles, et où l’oreille s’en va quérir ces sonorités impulsées loin, si loin au sein de ce paysage labyrinthique.
La voix de Rachel s’embrase sur alife, celle de Neil nous berce sur andalucia plays, le tout manquant peut-être d’audace, mais pas de charme. Puis vient kisses, qui est à cet album ce que Sugar for the Pill était à son prédécesseur, soit un single pop empreint d’une douceur éternelle, idéalement paru à l’aune de ces nuits d’été qui viennent mordre l’aube. Cependant, le morceau qui aura le mieux fait patienter les fans du groupe demeure skin in the game. C’est en somme ce que Slowdive a de plus slowdive dans ses tiroirs : un duo vocal à la présence douce et fantomatique travaillé à la perfection, et une envolée lente et harmonieuse soutenue par des guitares familières.
Alors, quand le groupe nous propose chained to the cloud, on acquiesce, car l’image n’est pas si mauvaise, même plutôt pertinente. L’âme en suspension, dérivant tranquillement pour s’extraire de l’instant et se laisser glisser jusqu’en bas de cette piste céleste où the slab nous réceptionne. La boucle y est enivrante, le tout est poignant et laisse éclater la vivacité de cet album, cette vigueur qui donne suite au deuil, qui serpente sur ces huit titres et s’échappe enfin à l’occasion de ce dernier titre plus dense, plus lourd que les autres, seule pièce qu’il manquait afin de donner de la hauteur à la douceur ambiante de l’album.
Si la surprise vous prend lorsque s’installe le silence au bout de ces quarante petites minutes, c’est peut-être que le voyage n’aura pas été celui escompté, et on concède que Slowdive ne signe pas là son album le plus marquant. Mais cette surprise est aussi celle de la sortie d’une douce torpeur, de celle à laquelle on a goûté le jour où, pour la toute première fois nos songes se sont confiés à la musique de Slowdive, à moins que ce ne soit l’inverse. Cette intimité, quoi qu’il en soit, reste intacte sur ce disque.
Marion des Forts