Après avoir démystifié les contes de fées (Et à la fin, ils meurent), Lou Lubie s’attaque au thème des HPI, en usant de la métaphore pour nous faire comprendre que s’il s’agit bien d’un don, celui-ci comporte aussi son revers de médaille dans notre monde de « normopensée ».
Ça veut dire quoi, être surdoué aujourd’hui ? En quoi un surdoué est-il différent de nous ? Pourquoi ces êtres « à haut potentiel intellectuel » (HPI) fascinent-ils autant qu’ils peuvent provoquer le rejet ? Lou Lubie s’est intéressée au sujet en brossant le portrait de deux personnalités HPI dans cet ouvrage mêlant fiction et documentaire. Au-delà des idées toutes faites, pour comprendre comment un tel don peut aussi s’avérer à double tranchant…
Au vu de sa bibliographie, Lou Lubie semble s’être fait une spécialité des sujets liés aux différences et aux particularités psychiques. Et pour cause : elle-même est atteinte de cyclothymie, un trouble bipolaire qu’elle évoque dans Goupil ou Face et qui a forcément accru cette empathie pour les êtres à part qu’elle exprime à travers son art.
Dans cette bande dessinée didactique aux airs de romance animalière, l’autrice aborde la question des HPI, autrement appelés « surdoués », « zèbres » ou « précoces ». On y apprend pas mal de choses qui inévitablement font évoluer notre regard sur ces derniers, qui ne sont pas forcément, laissons de côté le cliché, des petits Einstein (et d’ailleurs, Einstein lui-même fut un élève difficile durant sa scolarité). Birdo, le personnage principal aux faux airs de Calimero, l’exprime très bien par cette jolie métaphore : « Ma tête est comme un ciel qui scintille en permanence ». Car en effet, leur cerveau fonctionne de façon très différente et semblent constamment en activité, au détriment de leur sociabilité du fait de leur hypersensibilité et de leur émotivité. Ce don à double tranchant peut facilement entraîner leur isolement et provoquer chez eux un fort sentiment de solitude. De plus, ils n’ont pas toujours conscience de leur particularité et peuvent avoir tendance à se sous-estimer, comme c’est le cas avec la jeune fille « poisson », Raya.
La bonne idée de Lou Lubie est d’avoir utilisé ces traits de caractère pour construire une narration toute en sensibilité, évitant l’écueil de l’idylle trop prévisible. Les deux personnages se limitent à une relation, qui tout en étant fusionnelle (un surdoué pourra difficilement être mieux compris que par un autre surdoué), demeure platonique, et intégrera même le compagnon de Raya au QI normal dans une sorte de ménage à trois. L’autrice a su ainsi trouver le bon équilibre entre romance et didactisme.
Le dessin très minimaliste, sous ses allures gentillettes, peut donner l’impression de viser un public jeune, mais il dissimule en réalité un propos très adulte, et accessoirement des conseils judicieux aux parents concernés. Car les paroles vis-à-vis de ces enfants hypersensibles auront une importance capitale dans leur construction. Par exemple, une simple inversion des sujets résonnera de façon très différente. Dire, comme le fait avec intelligence la mère de Birdo : « Les autres enfants ne sont pas comme toi » au lieu de « Tu n’es pas comme les autres », n’aura pas tout à fait le même impact dans la tête de la progéniture… Sur le plan du dessin encore, Lou Lubie sait insuffler une poésie délicate (qui révèle de fait sa grande sensibilité), avec cette image originale, peut-être déroutante mais très parlante, d’un bocal renfermant un poisson en guise de tête pour le personnage de Raya.
Inspiré par des « ami.e.s surdoué.e.s » de l’autrice, Comme un oiseau dans un bocal s’inscrit dans la lignée de ces ouvrages altruistes tentant de développer chez le lecteur une empathie vis-à-vis des singularités, à l’image de La Différence invisible (sur l’autisme, par Julie Dachez & Mademoiselle Caroline) ou de Ce n’est pas toi que j’attendais, (sur la trisomie, par Fabien Toulmé), le but étant non seulement de nous rendre moins bêtes — à défaut d’augmenter notre QI —, nous les « normopensants », mais aussi sans doute, de rendre le monde plus supportable pour les personnes qui possèdent une appréhension différente des choses.
Laurent Proudhon
Comme un oiseau dans un bocal – Portraits de surdoués
Scénario & dessin : Lou Lubie
Editeur : Delcourt
184 pages – 21,90 € (version numérique : 14,99 €)
Parution : 6 septembre 2023
Comme un oiseau dans un bocal – Portraits de surdoués — Extrait :