Sur One Man Band, Miles Kane creuse son image de rockeur parfois bravache, parfois espiègle et parfois indécis. Ce nouvel album, qui s’inscrit dans l’héritage partagé des deux précédents, recèle des forces et des faiblesses qui ne sont pas tout à fait celles que l’on attendrait.
Je suis une recrue encore récente de Benzine, puisque mon premier article pour cette plateforme vient à peine de souffler sa toute première bougie. Ce qui veut dire que je suis souvent conduit à relire d’anciennes chroniques pour savoir où mes collègues en sont avec certains artistes dont je relaie les nouvelles sorties. Dans le cas de Miles Kane, je suis plutôt d’accord avec l’ami Eric, qui, après avoir décrit Coup de Grace (2018, prononcé « coude gras ») comme l’album d’un mec « qui commence à avoir du mal à pécho », avait retrouvé un peu d’espoir avec Change The Show (2022), qui parvenait à faire honneur à son titre en proposant un peu de nouveauté, piochant dans la soul sixties et le r&b en costard.
Étrangement, si One Man Band se situe quasiment à la croisée des chemins entre les deux derniers albums de l’anglais, le bilan qui en ressort est plutôt inattendu. En effet, les meilleurs moments de cette nouvelle livraison sont le plus souvent à rapprocher du glam crâne de Coup de Grace, là où les bourgeons indie de Change The Show donnent régulièrement lieu à quelques flottements. Le résultat s’avère par conséquent un peu frustrant, surtout quand le titre le plus marquant du lot est Troubled Son, à la fois premier single et morceau d’ouverture, dont le refrain fédérateur s’incruste immédiatement dans le cerveau sans qu’on y prenne vraiment garde. Le texte est particulièrement touchant, présentant le chanteur en enfant fuyant mais soucieux, désireux de murir pour mieux apprendre de ses errances. Bien sûr, ce serait mentir que d’affirmer qu’aucune des autres chansons n’est plaisante. Heartbreaks (The New Sensation) réussit à transposer les fantasmes Bolanesques de Kane dans un paysage indie rock de bon goût, même si l’attitude très sage de la section rythmique, qui se contente d’assurer la figuration la plus rectiligne, peut faire regretter un manque de folie qui sera, on l’espère, compensé sur scène. Dans un registre plus énervé, justement, Never Taking Me Alive sort les crocs avec un certain succès et son refrain un tantinet convenu est largement renfloué par la gouaille punk des vocaux.
Quand, sur la chanson éponyme One Man Band, Kane explore des tonalités plus dramatiques encore qu’à l’accoutumée, avec un phrasé pouvant lorgner sur le Bowie du début des années soixante-dix, le rendu est loin d’être déplaisant. Il est d’ailleurs poignant d’entendre Miles s’accrocher à cette empreinte vocale juvénile et angoissée, comme s’il cherchait à prendre le contre-pied de son pote Alex Turner. À mesure que ce dernier se réinvente en crooner pour bachelor pad hors du temps, Miles a visiblement envie de nous montrer que, des deux Shadow Puppets, il est celui qui aime porter des vestes en cuir et faire saigner les amplis. The Best Is Yet To Come est justement une jolie réussite en la matière, avec sa basse grondante, ses guitares sur-saturées et ses saillies vocales à la T.Rex discrètement doublées aux claviers. Il devient évident, à l’écoute de ce nouvel album, que les références à Marc Bolan, perçues sur les titres les plus attachants de Coup de Grace, n’étaient pas de simples repères nostalgiques. Il y a effectivement quelque chose de Bolanesque chez Kane, dans cette carrure de pretty boy qui se rêve en troubadour à l’ancienne, mais ne jubile jamais autant qu’en faisant péter les watts. Or, c’est précisément quand il ne le fait pas qu’il semble le moins heureux.
Coup de Grace décevait quand Miles s’essayait à un numéro de neo-Lennon le rapprochant fâcheusement d’un Liam Gallagher (vous savez, celui que son frère au prénom de sapin avait qualifié de « fourchette dans un monde de soupe »). Sur One Man Band, c’est quand il tente de bâtir des passerelles vers la soul classieuse de Change The Show que Kane se montre le plus hésitant. Alors même qu’il trouve comment équilibrer d’anciens travers outranciers, il paraît encombré par l’élégance solennelle de ses récentes aventures soul, au demeurant fort réussies lorsqu’elles étaient seules à l’ordre du jour. The Wonder tente d’allier les deux univers et, sans être un ratage, accouche d’un résultat bien plus anodin qu’on ne l’aurait supposé. Les guitares crades en arrière-plan sont divertissantes, mais se mélangent mal à des arrangements très dépouillés, qui sonnent un peu timides en comparaison. Le groove de la chanson, tout comme sa progression d’accords, se révèle trop convenu pour l’aider à décoller sans anicroche. Le premier véritable moment de tension surrvient dans les quarante dernières secondes, et c’est là que la composition se termine. Dommage. Baggio souffre des mêmes maux, avec une grille harmonique prévisible sur la durée et des prestations musicales très polies, qui semblent renâcler à lâcher les chiens. Miles a beau livrer une performance vocale très appliquée, la chanson peine à atteindre l’effervescence des titres précédents.
C’est peut-être le constat le plus fâcheux qui se dégage de l’écoute de One Man Band. La seconde moitié de l’album, plus sophistiquée que le rock sans chichis de la première, manque de chansons fortes pour remplir ses atours ambitieux. Lorsque, dans le texte de The Best Is Yet To Come, Miles nous dit avoir joué « the good, the bad, the queen and all of the people in between », nous n’avons pas totalement envie de le contredire, mais plutôt de l’encourager à s’accrocher à chacun de ces rôles avec plus de hargne avant d’en changer. Ransom est une complainte bellement chantée, qui aurait gagné à désengourdir sa rigidité rythmique pour mieux servir la voix du chanteur. Doubles revient au rock indie avec une concision bienvenue, même si la place des chœurs dans les arrangements est parfois envahissante. Heal est l’un des titres les plus prenants de cette seconde face, marquant le point où les affectations glam du chant de Kane peuvent s’accorder avec une pop faisant l’effort de fouiller ses orchestrations. Finalement, c’est lorsqu’il joue l’épure acoustique sur Scared of Love qu’on se dit que Miles gagnerait à en faire des caisses, à sortir les violons, la chorale en transe et les paillettes. Quitte à se rapprocher un peu du copain Turner ? Ce n’est peut-être pas son but, mais on sait maintenant que Kane en aurait les moyens. Le choix, comme toujours, lui appartient totalement.
Mattias Frances