Mais qu’est-il donc arrivé au réalisateur de la Boîte Noire, pour revenir ainsi nous désespérer avec un pur navet recyclant sans imagination les idées de grands auteurs, et plombant le tout par une série de très mauvais choix scénaristiques et de mise en scène ?
La Boîte Noire était un bon film, et au delà de la performance du toujours remarquable Pierre Niney, on avait cru y déceler le talent de réalisateur du jeune Yann Gozlan, dont on attendait qu’il se débarrasse d’influences trop visibles (De Palma, Fincher, Coppola…) dans son film suivant. Et la bande-annonce de Visions, bien construite, qui avait longuement tourné dans les salles au cours de l’été, pouvait laisser espérer le meilleur. La déception est donc sévère, car Visions n’est pas seulement un mauvais film – il n’en manque malheureusement pas, des mauvais films ! -, c’est surtout à la fois une expérience insupportable pour le spectateur et un exercice de repompage des classiques d’une roublardise exécrable. Qui plus est, Gozlan assumant la responsabilité du scénario catastrophique du film, même s’il s’est fait largement aidé, a priori, on est bien obligé de lui attribuer la pleine responsabilité du désastre.
Estelle est une pilote d’avion, mariée à un chirurgien renommé, et vivant une vie luxueuse sur la Côte d’Azur. Lorsque ressurgit dans sa vie Ana, avec laquelle elle a vécu une histoire d’amour torride vingt ans plus tôt, Estelle replonge dans la folie amoureuse, prête à tout sacrifier à sa passion. Jusqu’au jour où Ana disparaît, et où Estelle se rend compte qu’elle a perdu contact avec la réalité, et mélange souvenirs, rêves et hallucinations en un cocktail détonnant…
Combiner thriller classique (oui, il y a une solution rationnelle à cette histoire, qui sera « dévoilée » à la fin, surprenant peut-être les 2% de spectateurs qui n’avaient pas déjà tout deviné une heure plus tôt…) et labyrinthe mental est un exercice difficile, qui demande un vrai talent, aussi bien d’écriture que de mise en scène. Gozlan s’est appuyé quant à lui sur une histoire simple, voire simpliste – passion adultère et crime – et a revu tout un tas de classiques du cinéma pour en recopier les mécanismes, qu’il a réduit dans Visions à de simples trucs, sans impact ni profondeur.
Nous n’allons pas nous amuser à énumérer ici les références, non pardon, les plagiats, pour laisser au lecteur la satisfaction d’aller découvrir lui-même les films « recopiés » : c’est probablement l’unique petit plaisir que le film peut lui réserver, mais Gozlan tape très fort du côté de Hitchcock (l’héroïne blonde perturbée), de Polanski et Cronenberg (la mise en abyme mental du crime), de Lynch (les flottements sensoriels obscurs et menaçants), de De Palma (l’acte sexuel transformé en art via le voyeurisme de l’artiste et du spectateur), et d’autres encore… Nous nous contenterons de déplorer que, à partir d’un tel matériau, Gozlan n’ait pu trouver, lui, aucune inspiration significative. Utiliser une scène de rêve en lui donnant un sentiment de réalité, jusqu’au réveil d’Estelle (« ah, bon ! ça n’était donc qu’un rêve ! », s’écrie le spectateur qui n’a jamais vu un film de sa vie !) est une ficelle tellement usée qu’on est stupéfait de voir Gozlan répéter le truc encore et encore tout au long du film. Conférer à la majorité de Visions une allure de publicité chic pour une « vie de riche » au bord de la Méditerranée, avec voitures et motos luxueuses, maisons connectées, piscines ultra-modernes, etc. n’est pas non plus la meilleure manière de gagner les faveurs d’un spectateur affrontant l’inflation galopante du prix de ses courses quotidiennes. Mais le pire est sans aucun doute « l’érotisation » ringarde des relations sexuelles lesbiennes, aussi consternante que ridicule, et qui renvoie aux pires clichés du cinéma de boomers d’il y a au moins 30 ans.
Bref, si l’on ajoute que Diane Kruger, souvent convaincante, n’arrive jamais à se débrouiller pour rendre Estelle émouvante, ni même crédible dans son calvaire, et que Kassovitz est littéralement inexistant dans un rôle à peine écrit, on cherche en vain ce que l’on pourrait sauver de ces deux heures terribles. Ah, si ! Il y a Marta Nieto, que l’on avait déjà admirée dans Madre et dans En Décalage, et qui réussit contre toute attente à conférer et de la chair et (presque) une âme à son personnage d’artiste manipulatrice. Elle mérite tous nos éloges : elle est bien la seule au milieu de cette débâcle.
Eric Debarnot