Un nouveau Leonardo Padura est toujours un grand moment. Une nouvelle histoire de son détective préféré, Mario Conde, et encore plus ! Mélancolique, comme d’habitude, mais aussi plein de toutes ces choses qui rendent la vie à Cuba supportable (la bonté et l’amour, l’amitié, la fidélité, l’humanité), cet Ouragans tropicaux est parfaitement réussi. Et, évidemment, avec une enquête policière, qui nous tient en haleine jusqu’au bout.
Mario Conde revient ! Après plusieurs livres sans son policier – Poussière dans le vent, L’eau de toutes parts (2022) et Retour à Ithaque (2020, coécrit avec Laurent Cantet) – Leonardo Padura remet son ex-flic favori au travail ! Il faut dire que la période est tendue à Cuba, Barak Obama arrive, précédant de quelques heures seulement les Rolling Stones, eux-mêmes en concert peu de temps avant un défilé Chanel. Gérer le meurtre (dégueulasse) d’un ex-tortionnaire du régime castriste est donc un peu compliqué dans ce contexte très contraint. Alors, quand on est commissaire de police et qu’on a la chance d’avoir le brillant et intelligent Mario Conde comme ami, on n’hésite pas : même s’il est retraité, on le sollicite et on l’implique dans l’affaire. D’autant moins qu’un second meurtre (aussi dégueulasse) s’ajoute rapidement au premier et que les résultats se font attendre. Et que Barak Obama arrive, qu’il est là, et que etc… Mario, s’il te plaît ?!
Mais ce n’est pas si facile. D’abord, Mario Conde a un autre travail (il en a bien besoin dans un pays où joindre les deux bouts n’a jamais été facile) qui l’occupe tous les soirs. Conde hésite ensuite parce qu’il essaye d’écrire une histoire sur une enquête criminelle qui s’est déroulée à La Havane au début du 20ᵉ siècle. Et il hésite aussi parce qu’il n’est pas certain qu’avoir éliminé ce tortionnaire soit une si mauvaise chose – et s’il était d’accord avec l’assassin… que devrait-il faire ? Évidemment, il finit par accepter (on s’en doute ; sinon, il n’y aurait pas de roman !). Ouragans tropicaux raconte donc deux enquêtes. Celle qui se déroule de nos jours (en 2016, pour être précis) et celle qui se déroule cent ans plus tôt (en 1910) et que Conde reconstruit grâce aux lettres du policier chargé de l’enquête à l’époque.
On a donc droit à deux enquêtes pour le prix d’une. On ne va pas s’en plaindre, même si les enquêtes criminelles, pour intéressantes qu’elles soient, ne sont que des moyens (des prétextes) pour nous parler de Cuba, du Cuba socialiste d’aujourd’hui et du Cuba républicain du début du siècle. Les enquêtes servent à nous balader dans La Havane, de nous plonger un chapitre après l’autre, alternativement, dans les rues surpeuplées et mal famées des quartiers pauvres mais aussi dans les beaux immeubles de luxes de La Havane, ou pour nous emmener dans les méandres tortueux de la société cubaine. Et Leonardo Padura non seulement connaît mais aime son île. Il aime les Cubains, et leur capacité à se débrouiller, à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent et même à y trouver du bonheur. Et on les aime avec lui. Leonardo Padura est un conteur magnifique. Il écrit avec de la couleur, avec des sentiments, avec des émotions. Un psychologue, un historien, un géographe, un enquêteur… un romancier !
On retrouve dans cet Ouragans tropicaux les thèmes que Padura a traités maintes et maintes fois. L’exil – celles et ceux qui partent à Miami pour fuir le régime, mais aussi qui reviennent, ou celles et ceux qui ne veulent pas partir, parce qu’ils sont cubains et qu’ils essaient de faire face. L’histoire – qui se répète, encore et toujours, sans que rien ne change, même si tout le monde attend que les choses changent. Ce roman est aussi une réflexion sur l’honnêteté et la corruption – que signifie être honnête pour un policier ? Et tout cela se mélange parfaitement pour donner un roman qui se situe entre le polar, le roman historique, l’enquête quasi sociologique et politique sur Cuba et un voyage à La Havane. Porté par les personnages que l’on connaît de Leonardo Padura. Une réussite.
Alain Marciano