S’il n’est pas exempt de défauts qui le font ressembler au tout-venant de l’animation japonaise, le château solitaire dans le miroir réussit à s’en distinguer par son intelligence, sa force émotionnelle, et une formidable accélération finale.
Alors que le gouvernement français, jamais avare en effets d’annonce, déclare régulièrement le harcèlement scolaire comme l’une des grandes causes du moment, on est bien obligé de regarder du côté du Japon et de l’anime en particulier pour voir le sujet traité avec le respect et la complexité qu’il mérite. Le château solitaire dans le miroir est tiré d’un roman-phénomène de Mizuki Tsujimura, déjà adapté en manga, auquel Keiichi Hara (Colorful, sur le suicide des adolescents, Wonderland, moins réussi, entre autres…) donne une belle forme, que l’on n’osera toutefois pas traiter de définitive.
Sept adolescents sont attirés, via des miroirs magiques, dans un château, isolé sur une île, où ils pourront trouver refuge pendant les heures normales de classe. Car tous les sept sont victimes de harcèlement de la part de leurs pairs collégiens. Leur hôte, une jeune fille au masque de loup, va même leur offrir de réaliser leur vœu le plus cher, à condition qu’ils trouvent une clé mystérieuse cachée dans le château.
A partir d’une symbolique facile – où trouver la force de résister à l’agression, en soi-même ou au sein d’un groupe ? – Keiichi Hara, un cinéaste dont on regrette souvent la « langueur », choisit une approche peu ordinaire : il s’agit d’abord d’explorer patiemment l’épreuve à laquelle Kokoro, la jeune héroïne du récit, est soumise, et de redévelopper son empathie à travers la parole, mais surtout le temps passé avec ses confrères et consœurs de douleur. D’où cette longue « première partie » du film, où il ne se passe pas grand chose, et où les mois d’une année scolaire « évitée » s’écoulent à un rythme qui testera la patience des spectateurs. C’est pourtant là que réside l’ambition du traitement du sujet : ne pas se focaliser sur les actes de harcèlement qui sont à l’origine de la souffrance, des pulsions suicidaires des adolescents, mais prendre le temps de regarder cette « thérapie de groupe », où la parole va peu à peu se faire libératrice. Le spectateur pourra aussi s’interroger sur les différences de fonctionnement entre le système scolaire nippon et le nôtre, mais surtout comprendre combien les enseignants et les surveillants sont partout aussi démunis, voire négligents et maladroits face à la souffrance des enfants.
Et tout cela est également nécessaire pour nous préparer à une stupéfiante accélération, qui fera littéralement décoller le château solitaire dans le miroir. Car d’un coup, tout le mystère du château se dévide, l’action se resserre et le film devient un intense thriller fantastique, dont la résolution, passionnante, permettra aux spectateurs les plus observateurs mais aussi aguerris en termes de « mind games » de tester leur intelligence et de se régaler. Et le plus étonnant, c’est bien la façon dont le film se met à déverser de l’émotion, alors même qu’il assume le versant le plus conceptuel de son intrigue. On soulignera aussi l’intelligence – et la juste distance – avec laquelle Hara introduit dans cette dernière ligne droite de l’histoire le sujet épouvantable de l’inceste, qui mériterait certainement à lui seul un autre film. Devenu un véritable tour de force quand on n’en attendait pas autant, le château solitaire dans le miroir nous laisse bluffés, et des larmes pleins les yeux.
On n’est finalement pas loin du chef d’œuvre, il est juste dommage que le film soit trop long (15 minutes en moins et ça a aurait été parfait), et également très conventionnel du point de vue graphisme, animation, avec qui plus est ces excès « musicaux » bien typiques de l’animation japonaise…
Mais même avec ces limites, le château solitaire dans le miroir reste la sortie cinéma en famille la plus enthousiasmante de la semaine, et de loin.
Eric Debarnot