Malgré son bandeau en guise d’avertissement, « la grande plume de l’Amérique des bas-fonds », Au milieu des serpents de Patrick Michael Finn sidère par sa noirceur et son nihilisme. Le romancier nous entraîne en effet dans une descente aux enfers, sans espoir de retour.
Cinq ans après Ceci est mon corps, novella parue aux Arènes dans la collection Equinox dirigée par Aurélien Masson, le nouveau livre de Patrick Michael Finn est enfin traduit en français. Et Au milieu des serpents ne devrait pas laisser indifférents ceux qui oseront s’y aventurer. Même les lecteurs habitués aux romans noirs les plus sombres devront reconnaître que l’on a rarement lu un texte aussi âpre que celui-ci. Tout le livre, de la première à la dernière ligne, s’apparente en effet à une lente descente aux enfers.
Tammy n’a que dix-sept ans lorsqu’elle fugue de chez sa mère à la suite d’une énième dispute. Elle décide alors de s’installer chez Weldon, son père qu’elle ne connaît pas. Cet ex-alcoolique, qui mène désormais une vie tranquille, s’efforce tant bien que mal d’accueillir l’adolescente en perdition. Après quelques jours seulement d’une cohabitation difficile, Tammy s’enfuit à nouveau. Weldon se lance alors sur ses traces dans l’espoir de la retrouver. Mais Tammy semble vouée à l’autodestruction : elle boit, se drogue, se prostitue et entraîne malgré elle son père dans une chute inexorable.
Les amateurs d’intrigues ciselées, de mécaniques romanesques bien huilées peuvent passer leur chemin. Ici, le récit se réduit à une suite de scènes, toutes plus désespérées les unes que les autres. On lit, effaré et médusé, la déchéance de cette adolescente dans une Amérique peuplée de prostituées, de proxénètes, de drogués, de SDF. C’est l’Amérique des bas-fonds que dépeint Patrick Michael Finn, celle des motels sordides, des ruelles malfamées et des terrains vagues où, au milieu des herbes desséchées, seringues, bouteilles et autres déchets ont été jetés. On y trouve même, parfois, des bébés abandonnés… Aucun espoir ici, aucune lueur possible puisque Weldon, figure paternelle en quête de rédemption, devient vite lui aussi l’une de ces tristes âmes qui errent au milieu de la crasse et de la misère.
Ce voyage au bout l’enfer de deux cents pages pourrait paraitre vain, voire complaisant. Mais le roman est en permanence sauvé par l’écriture de Patrick Michael Finn, magnifiquement traduite par Yoko Lacour. Tour à tour aride ou lyrique, la plume du romancier possède une véritable puissance d’évocation qui transfigure parfois le réel, sans jamais rien cacher de son horreur. Par endroits, le texte s’apparente même à une sorte de poésie en prose : une poésie de la déchéance et du désespoir.
On l’aura compris, Au milieu des serpents est un roman à réserver aux lecteurs qui aiment la littérature qui bouscule, celle qui dérange. En lisant Patrick Michael Finn, on pense d’ailleurs souvent à Hulbert Selby Jr et à son célèbre Last Exit to Brooklyn. C’est dire le niveau auquel il se situe…
Grégory Seyer