En électrifiant son Blues, en laissant parler sa colère, Grant Haua change de registre dans son troisième album, Mana Blues : un disque excitant, intense, qui pourrait être une nouvelle direction pour le bluesman néo-zélandais…
Sur la pochette de son dernier album, Grant Haua, l’un des artistes blues les plus prometteurs du moment – voix superbe, belle maîtrise de la guitare – a tenu à représenter ses deux passions : le rugby, symbolisé par une grimace comme celles effectuées lors du haka rituel de son équipe nationale (eh oui, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Grant est néo-zélandais), et la musique, le blues surtout, électrique souvent, avec la guitare. On va laisser de côté le sujet du sport, on imagine bien qu’en cette période de Coupe du Monde, nul n’est en manque d’articles sur le rugby, et on va parler de la musique contenue sur ce nouvel album, Mana Blues, son troisième.
Ce qui saute d’emblée aux oreilles, c’est la rupture que cet album représente par rapport à ces prédécesseurs, une rupture qui en ravira certains – ceux qui aiment leur Blues bien saignant, voire même énervé – et en frustrera d’autres, ceux que Haua avait particulièrement séduits avec sa face quasi « folk », et sa voix capable de transmettre des émotions ténues.
Dès Pukehinahina, l’intro de l’album, et l’une des deux chansons les plus colériques de Mana Blues, ça barde (et la présence aux côté de Grant de The Inspector Cluzo contribue sans doute à la rudesse du morceau…) : Haua, après une courte introduction en langage maori, déverse sa rage contre la guerre, et ça fait mal, très mal. Pour nous qui sommes ignares en matière d’histoire maori, Pukehinahina fut l’une des principales victoires maoris durant la guerre qui les opposa aux colons britanniques, guerre qui se termina malheureusement par la confiscation des terres indigènes par les envahisseurs. « And on the killing fields, lay the dead in the dying / and the news of their defeat had the politicians crying » (Et sur les champs de bataille, les morts gisaient parmi les mourants / et la nouvelle de leur défaite faisait pleurer les politiciens…). On comprend, on partage la colère de Haua sur l’inutilité, l’absurdité du sacrifice de jeunes vies, et on ne se demande plus où est passé le sage philosophe (enfin, bêtement sans doute, on l’imaginait bien comme ça, sagement assis près de ses racines dans sa Nouvelle Zélande natale…) d’antan ?
Plus loin, dans un registre encore plus sombre, Embers – inspiré paraît-il d’une visite de Grant au mémorial des soldats tombés sur les plages du débarquement en Normandie – est un chant de révolte contre les mensonges dont on nous nourrit pour mieux nous détruire : « They kept us all sedated, you know the reasons are complicated, executed with fervour / They told us we were wrong, but we knew we were right » (Ils nous ont tous gardés sous sédatifs, on sait que les raisons sont compliquées, exécutées avec ferveur / Ils nous ont dit qu’on avait tort, mais nous savions que nous avions raison) !
Bon, ce ne sont que deux titres sur les 10 de l’album, et les huit autres nous permettront – souvent sans baisser d’intensité – de retrouver des facettes soit plus optimistes, plus ludiques, soit même plus hédonistes de Haua (Good Stuff), la seconde face revenant sur les nombreux plaisirs – simples parfois – de la vie, qu’il convient toujours de célébrer : l’amour, la musique (à noter aussi un bel hommage fiévreux à Billie Holliday…).
Mais tout cela en faisant tonner sa guitare électrique de la plus belle façon, histoire de nous ramener quelques décennies en arrière, dans les années 60-70 en particulier quand les guitaristes virtuoses du Blues ont directement inspiré et engendré une Rock music bien lourde et bien enflammée. C’est ainsi que les nostalgiques du grand dirigeable reconnaîtront ici une nouvelle adaptation du célébrissime Time of Dying de Blind Willie Johnson !
Avec cet album peut-être moins « néo-zélandais » (quoi que cela veuille dire, en fait…), sans doute plus universel, Haua paie son tribut aux grands guitaristes US qu’il vénère. Ceux qui, quelque part, sont responsables du fait qu’il ait abandonné une carrière possible de rugbyman pour chanter son amour de la musique. Mana Blues marque-t-il une nouvelle orientation de la musique de Haua, un nouveau départ, ou s’agit il d’un simple pas de côté, d’une simple récréation ?
Le temps le dira, mais en attendant, profitons de cette abondance d’électricité, toujours bienvenue en cette période de rentrée.
Eric Debarnot