L’un des meilleurs thrillers jamais consacrés à la séquestration criminelle, un phénomène terrifiant faisant régulièrement les gros titres des journaux, est une mini-série allemande sur Netflix, Chère Petite. A ne pas manquer, sauf pour les téléspectateurs les plus impressionnables…
L’une des caractéristiques les plus extrêmes du besoin de contrôle masculin sur la femme – considérée comme pur « objet » de satisfaction de fantasmes -, mais également sur la cellule familiale dans son ensemble, est le recours à la séquestration extrême : au fil des années, des histoires horrifiques ont été relayées, de tortionnaires – parfois pères de famille – ayant enfermé durant de longues années des femmes ou des enfants, utilisés comme jouets sexuels ou / et comme membres d’une « famille parfaite », car totalement privée de liberté, et en particulier de celle de refuser « l’amour » ou les désirs pervers du mâle. L’une des plus connues est celle de Natacha Kamputsch, petite fille autrichienne de 10 ans retenue pendant 8 ans et demi dans un sous-sol : si dans son cas d’éventuels abus sexuels n’ont jamais été confirmés, la volonté de contrôle absolu de l’autre par un paranoïaque instable ouvre indéniablement la porte sur un univers de terreur absolue, auquel il est difficile de ne pas être sensible…
… Et c’est justement ce dont parle Chère Petite, série allemande d’Isabel Kleefeld : de la disparition inexpliquée d’une jeune femme, disparition qui a dévasté famille et amis – dont un inspecteur de police… Une affaire irrésolue qui ressurgit dans l’actualité bien des années plus tard, lorsqu’une femme et une petite fille s’échappent d’un lieu inconnu, où un « papa » les a retenus captifs. S’agit-il de la même personne ? Qui est l’enfant ? Qui est le monstre qui a régi leur vie, à coups de règles absurdes et de cadeaux dérisoires, durant toutes ces années ? Pourquoi cette torture infernale ?
Chère Petite est un thriller – il y a une enquête de police, il y a des énigmes, il y a du suspense et de la tension, il y a même de la violence – mais c’est aussi plus que ça, car on s’intéresse aussi, et rapidement, à l’état psychologique – mais physique aussi – des victimes d’une épreuve aussi extrême. Un peu de syndrome de Stockholm, puisqu’il est vital pour les victimes de trouver une raison d’avoir « vécu tout ça », et beaucoup de trauma – similaire au fameux TSPT des vétérans de guerres sanglantes – dû à l’acceptation prolongée d’une soumission intégrale, revenant à nier complètement leur identité, leur existence…
La grande question que pose Chère Petite, c’est la plus simple mais aussi la plus importante : est-il même possible de revenir à la vie après avoir une telle expérience ? On ne dévoilera pas ici la conclusion du sixième et dernier épisode, qui apporte une réponse (est-elle positive ou négative ? chacun se fera sa propre idée…), mais il est indéniable que Chère Petite va loin, aussi bien dans la description – littéralement accablante – des tourments et des accommodements nécessaires à survivre durant une longue captivité, que dans l’analyse de leur trajet de « retour à la normale ». Avec précision, en prenant son temps, en ne détournant pas non plus le regard mais sans abuser de détails sensationnalistes, la série nous place à la fois dans la peau des enquêteurs, des médecins, des policiers qui font face à l’inconcevable, que dans celle des victimes luttant – ou non – pour conserver un semblant de raison.
Avec une écriture soignée et réaliste (on pourra regretter l’abus de l’utilisation dans l’histoire des ressemblances entre personnages, qui s’apparente à une ficelle un peu grosse), une mise en scène soignée et une interprétation impeccable, Chère Petite s’avère une expérience émotionnelle forte. Et confirme la qualité actuelle de la série télévisuelle allemande, qui n’a – comme on l’avait vu déjà avec Dark – rien à envier aux meilleures réussites US.
Eric Debarnot