On n’aurait pas imaginé que les Américains de She Wants Revenge soient si populaires en France, ni que leur « cold wave » très classique puisse sonner aussi bien : hier soir, au Trabendo, perpétuer une musique vieille de quarante ans a semblé une évidence !
Même si à l’époque de son apparition, la cold wave et ses branches dark, gothique, etc. ont soulevés pas mal de moquerie, en particulier vis-à-vis des « uniformes » noirs et looks dépressifs des musiciens comme du public, l’histoire a prouvé que c’est un genre musical qui perdure vaillamment. Et qui continue de séduire une partie de la jeunesse se reconnaissant dans ce mal-être existentiel (qui a d’ailleurs encore plus lieu d’être quarante ans plus tard !) s’exprimant de manière spectaculairement romantique. C’est ainsi qu’on est franchement ravis de voir que les Américains de She Wants Revenge, qui perpétuent obstinément la tradition, sont accueillis par un Trabendo sold out, et que le public qui fait la queue à l’entrée est bien jeune. Bref, la cold wave n’est pas une musique de vieux barbons. Enfin pas que !
20h00 : La soirée débute avec un trio parisien qu’on nous annonce bien dans la même ligne post-cold wave de She Wants Revenge, d’autant qu’on les a entendus de loin jouer du Joy Division pendant la balance. Surprise, la musique de The Funeral Warehouse est plus originale que ça, et dès l’intro, à la fois heavy et pop, Miles Away, on apprécie le mélange de genres pratiqué par le groupe. Un mur de guitare – jeu très impressionnant, à la fois efficace et flamboyant de Sébastyén D. – posé sur une rythmique solide (la basse, ronde et dansante, peut évoquer, c’est vrai, le jeu de Peter Hook) -, des chansons mélodiques : on est rapidement captivés. Le chant – problème classique des groupes français – n’est pas toujours au niveau de la musique, c’est bien le seul point pas totalement positif qu’on peut relever le long d’un set de 50 minutes (!) qui convaincra tout le monde, et finira, sur Wretched, dans un déluge de guitare et de basse cisaillées frénétiquement. Et Joy D, dans tout ça, vous demanderez-vous ? Eh bien, The Funeral Warehouse les évoquent bien épisodiquement (Stop, par exemple), et ils reprendront le classique Twenty-Four Hours. Un groupe à suivre, sans aucun doute (The Funeral Warehouse, pas Joy Division…).
21h15 : cinq petites minutes de retard seulement pour She Wants Revenge, tout va bien. Le son est immédiatement excellent, et on entend même clairement la voix de Justin Warfield du premier rang, ce qui n’est pas toujours le cas. Ce qui ne va pas bien, c’est – même si c’était à prévoir – l’éclairage, qui est quasiment inexistant, hormis quelques spots rouges ou bleus d’ailleurs braqués dans les yeux des spectateurs plutôt que sur le groupe. Bref, oublions les photos décentes, et concentrons-nous sur la musique !
Le duo US (Justin + Adam Bravin qui officie, quant à lui, aux claviers et à la guitare) tourne avec le soutien de trois musiciens – un bassiste, pas très sympathique, un guitariste et un batteur -, ce qui lui permet d’offrir une « vraie » expérience rock, avec une véritable batterie de surcroît, ce dont personne ne se plaindra… Et avec souvent trois guitares électriques à la fois sur certains morceaux, c’est un son puissant et satisfaisant qui déferle sur nous. Stylistiquement, même si la voix de Justin est moins grave en live que l’exigeraient les canons du genre « cold wave / dark wave », on est bien, cette fois, comme attendu, dans l’héritage direct de Joy Division, mâtiné de Bauhaus. On attaque le set – qui durera une heure trente-cinq (avec un titre de moins sur la setlist que « normalement ») – par Red Flags And Long Nights : une ouverture logique puisqu’il s’agit du titre qui ouvrait le premier album du groupe, She Wants Revenge, en 2006. Comme on enchaîne avec These Things, on peut espérer – ou craindre suivant les cas – que le concert soit totalement consacré à ce fameux premier album, mais non, la setlist inclut des chansons des trois disques du groupe… et, paradoxalement, ce ne sont pas les premiers classiques du groupe qui resplendiront le plus ce soir !
Le premier grand flash de la soirée sera un Take the World magique, qui justifie pleinement la célébrité improbable du groupe. « Is this the life, the one you imagined? / Is this the life, the one from your dreams? » (Est-ce la vie, celle que vous imaginiez ? / Est-ce la vie, celle de vos rêves ?), suivi par un Written In Blood ample, intense, qui ne déparerait pas au milieu de la discographie d’Interpol : c’est tout simplement magnifique de lyrisme sombre. Oui, il y a là une sorte d’évidence mélodique et émotionnelle qu’on peut critiquer, mais on sait bien que le bon Rock, le grand Rock s’est toujours nourri de l’universalité de son impact, même si elle contredit la posture marginale de ses artistes.
Il suffit de regarder Justin, tout de noir vêtu derrière son micro, avec une sorte de masque de Zorro sur les yeux, drôle de Quasimodo maigrichon, tortillant dans l’obscurité son pull / poncho informe, prenant des poses héroïques, les bras écartés, que personne ne lui demande. Si l’on considère ce cirque d’un œil froid, le ridicule n’est pas loin. Et pourtant, dans l’obscurité traversée d’éclairs de guitare électrique, comment ne pas trouver ça beau ?
Maintenant, il faut aussi admettre que certains titres manquent plus d’inspiration, et font retomber le concert dans une sorte de routine, ou tout au moins de déficit de… magie. La bonne nouvelle, non, l’excellente nouvelle de ce concert, c’est le fait que les deux morceaux les plus intéressants seront deux… NOUVEAUX titres, See The Distance, See the Truth et Believe ! Le rythme rapide et l’attrait mélodique de See The Distance, See the Truth en particulier feront littéralement exploser de joie le public qui répète « Everybody Has a Little Secret ! », dans un moment de plaisir collectif qui frappe Justin : « Sur cette tournée, on est passés par la Croatie, par la Turquie, par le Royaume-Uni, par plein de pays, mais on n’a jamais ressenti autant d’amour qu’ici », nous dit-il d’un air parfaitement sincère (car surpris, en fait…).
Le temps étant limité pour terminer le set avant le couvre-feu, on ne joue pas le jeu convenu du rappel, et on enchaîne directement avec les quatre derniers titres : on entame avec le très émouvant She Will Always Be A Broken Girl – « une chanson qui, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi, a acquis une vie propre ! » explique Justin. Du point de vue sonorité des claviers, on n’est pas loin du Papillon de Editors, d’une certaine manière… Paradoxalement, les deux vrais hits du groupe, les dansants Out Of Control et (surtout) Tear You Apart, accueillis par des hurlements de joie des fans, sonneront beaucoup plus convenus, bien moins intéressants que nombre de morceaux qui ont précédé.
Mais qu’importe si ce concert de She Wants Revenge a eu des hauts et des bas, il est difficile de nier que nous aussi, en compagnie d’une foule de jeunes « corbeaux » en extase, avons vécu de très beaux moments à nager dans cette immortelle « vague froide »…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Je suis complètement d’accord avec votre compte rendu sur les deux groupes de cette soirée.