On ressort de la lecture de Foi, espérance et carnage lavé et purifié, illuminé. Pourtant, il n’y est pas question que de foi, de religion ou de spiritualité. C’est juste que chaque page de ce livre, chaque réponse de Nick Cave aux questions de Sean O’Hagan est bourrée d’intelligence, de finesse, d’humilité. À lire, et à garder avec soi, tout le temps !
Un long interview de 360 pages, même découpé en chapitres et même entre Sean O’Hagan (un interviewer réputé, qu’on a à peine besoin de présenter) et Nick Cave (qu’on n’a, lui, pas besoin de présenter du tout) ! Diable… N’est-ce pas un peu long ? Sauf peut-être pour une quelques happy fews, les vrais fans du célèbre chanteur australien (au mieux les fans de musique), celles et ceux qui connaissent ses albums par cœur et qui pourront comprendre exactement de quoi il s’agit. Eh bien, non. Mais alors pas du tout. Dès que vous aurez jeté un œil dans ce livre et tourné la première page, vous ne pourrez pas le refermer avant de l’avoir terminé. Mieux, vous pourrez commencer Foi, espérance et carnage en vous disant que vous verrez bien jusqu’où vous tiendrez et quand l’envie vous prendra de faire votre première pause, 80 pages seront déjà passées et la seule envie que vous aurez alors sera de reprendre la lecture et terminer les 250 et quelques pages qui restent. Ce livre se lit comme un roman à intrigue et à suspense. Il vous happe et vous absorbe totalement. Tout, absolument tout, jusqu’aux discussions de points qui peuvent paraître banals et mineurs, est fascinant et passionnant. Foi, espérance et carnage parle de la vie, de la perte d’êtres chers, de la mort qui n’est pas vraiment la mort et qui libère plus qu’elle n’aliène. Les propos qui sont tenus et échangés sont ceux de quelqu’un qui semble avoir atteint une sérénité incroyable. Il y a donc beaucoup à apprendre, à retenir et à méditer dans ce que dit Nick Cave. On pourra avantageusement lire Foi, espérance et carnage , et ensuite le garder avec soi pour le relire régulièrement et se ressourcer, s’orienter, se rassurer.
De quoi s’agit-il en fait ? D’entretiens, donc, que Sean O’Hagan et Nick Cave ont commencé à mener en 2020 et ont continué pendant les confinements du COVID. Des questions, souvent courtes, et des réponses, souvent longues, qui portent sur à peu près tout dont il est important de parler. La musique occupe une place non négligeable. Le sens des morceaux, la manière dont une chanson acquiert du sens et devient ce qu’elle est. Comme une chanson naît… Il y est beaucoup question de création – comment Nick Cave envisage le processus créatif, la gestation des chansons, et comment lui, et son compère Warren Ellis, composent des chansons. C’est évidemment passionnant, parce que ces deux-là ont composé des chansons absolument uniques (250 dit Nick Cave).
Mais ce n’est pas un livre sur la musique. On se doute qu’en plus de 300 pages, et avec quelqu’un comme Nick Cave, les discussions ne pouvaient pas rester que sur la musique. D’ailleurs, dit-il, il ne voulait plus faire d’interviews pour plus avoir à ne parler que de musique, cela ne l’intéressait plus. Alors, les chansons et leur genèse ouvrent rapidement la discussion sur comment la musique lui a permis d’exprimer et de supporter la peine ressentie à la perte d’Arthur, le fils de Nick et Susie, sa femme. Et comment Ghosteen a été écrit précisément pour communiquer avec lui : « Voilà ce que représentait Ghosteen pour moi. Arthur nous a été arraché, il a disparu d’un coup, et je voyais dans ce disque un moyen de renouer le lien et de lui dire adieu ». Ce qui conduit à la place du surnaturel ou, plus exactement, du non rationnel dans la vie et, assez naturellement, de Dieu, de croyance, de religion. Du lien inévitable entre la musique et le sacré : « Entre tous les arts, toutes les expériences humaines, c’est la musique qui par excellence nous élève et nous rapproche du sacré… Toutes mes chansons naissent dans un espace d’élan spirituel, puisque c’est celui que j’habite en permanence. »
Et il y est aussi question de relations humaines : Nick Cave et Mick Harvey, et Susie, et sa mère et les gens en général, au travers du projet des Red Hand Files, quand Nick Cave a voulu parler avec toutes celles et ceux qui voulaient lui parler…). Nick Cave raconte la rencontre avec Susie, sa dépendance à la drogue, les cures et comment il a décroché. Nick Cave se raconte, sans filtre semble-t-il, sans hésitations, sans honte… Et il apparaît comme quelqu’un de sensible (mais on le savait, si on avait écouté sa musique) et d’intelligent, d’humble, d’humain. Il admet, par exemple, s’être trompé, avoir des regrets concernant ses comportements passés. Cela semble naturel et évident et simple. Peut-être. Mais reconnaissons qu’il n’est pas certain du tout que nous soyons, tant que nous sommes, capables d’admettre s’être trompé sans avoir peur du gouffre que cela peut ouvrir dans nos existences. Et, si vous trouvez ce qui est écrit et banal, pensez qu’entendre ce genre de choses dans la bouche d’un chanteur aussi majeur ne peut être que rassérénant, et ne peut que redonner confiance dans sa propre façon de vivre. Bref, tout ce que dit Nick Cave est intelligent et utile, réfléchi et ressenti. Et cela rend ce livre extrêmement important et fort.
Alain Marciano