Avec son nouveau roman, où il est encore question de ses racines, Rachid Benzine évoque comment, à la suite de la mort de son père, un fils va se plonger dans le passé de celui-ci et redécouvrir qui il était vraiment. Le récit le plus intime de cet écrivain d’origine marocaine.
Amine est un pianiste reconnu, passionné, notamment de Keith Jarrett, qui doit prochainement enregistrer les Suites de Bach. Quelques jours avant, il reçoit un coup de téléphone de son agent qui lui apprend que son père vient de mourir. Un père qu’il n’avait pas vu depuis longtemps pour n’avoir jamais voulu revenir dans la ville de son enfance à Trappes, en banlieue parisienne. Pourtant, cette fois Amine ne pourra pas fuir son destin, il doit revenir pour la cérémonie mortuaire, mais également pour vider l’appartement du défunt père en compagnie de ses sœurs. Dans la salle de bain de cet appartement, il va découvrir, bien caché sous la baignoire, un lot de cassettes audio contenant des enregistrements réalisés par son père entre les années 60 et aujourd’hui et qu’il l’envoyait régulièrement à son propre père resté au pays
Amine découvre alors la voix de son père jeune, ainsi que les divers endroits où ce dernier a vécu durant sa vie. Il découvre ce qu’était l’existence de cet immigré marocain, arrivé en France à l’âge de 19 ans, qui a exercé divers métiers dans plusieurs régions. Voilà donc ce fils, qui ne sait pas grand-chose de ce père, parti pour un voyage dans le passé, et qui va tenter de retrouver les personnes qui ont connu son père, avec à la clé quelques surprises…
Après Ainsi parlait ma mère, (2020), Voyage au bout de l’enfance (2021), l’écrivain d’origine marocaine évoque à nouveau son enfance, ses racines, à travers un récit où il est question cette fois de la relation Père-fils. Il parle également de l’immigration maghrébine en France dans les années 60 / 70, il évoque les conditions précaires dans lesquelles les hommes vivaient, loin de leurs familles, contraints d’exercer des métiers peu valorisant, pénibles et payés une misère, comme le travail dans les mines de charbon, ou encore le maraîchage, et plus précisément le ramassage des melons à Saint-Laurent-des-Arbres, dans le sud de la France, une ville qui a accueilli à une époque des milliers de harkis, des déracinés, comme pouvait l’être le père d’Amine, des gens qui ont subi des humiliations et qui ont du tout reconstruire après avoir quitté leur pays… A ce sujet, il faut lire ou relire la superbe BD de Daniel Blancou, Retour à Saint-Laurent-des-arabes parue en 2012 chez Delcourt.
C’est un bel hommage que rend là Rachid Benzine, à cette première génération d’immigrés dans un livre, on l’imagine, en grande partie autobiographique. Un livre pour la mémoire, où il est question de tendresse, quand l’auteur évoque ce père silencieux, qui ne laissait rien transparaître de la fierté qu’il est éprouvait pour son fils devenu un grand musicien.
Difficile donc de ne pas être ému par ce récit, par cette histoire qu’ont sans doute vécue bon nombre d’hommes et de femmes, enfants d’immigrés, Algériens, Marocains ou Tunisiens, pris entre deux cultures, entre la tradition des parents et la culture d’adoption, française, et qui pourtant ont dû se construire une identité.
Benoit RICHARD