La déferlante australienne se poursuit, avec, cette semaine, les formidables The Murlocs, l’autre groupe d’Ambrose Kenny-Smith (de King Gizzard), qui nous ont offert hier soir le plus beau shot de rock’n’roll de cette rentrée. Un concert quasiment parfait !
Si King Gizzard and the Lizard Wizard atteignent aujourd’hui le niveau de célébrité en France qu’ils méritent, ce n’est pas encore le cas malheureusement du projet personnel d’Ambrose Kenny-Smith (l’autre chanteur de King Gizzard…), The Murlocs, un groupe qui produit depuis plus de cinq ans des albums absolument remarquables. Est-ce que les programmer au Trabendo, avec ses 700 places, n’est pas un pari trop ambitieux ? C’est en tout cas la question qu’on peut se poser quand on voit aussi peu de gens dans la salle à 20 heures, pour l’ouverture de la soirée…
Il est donc 20 heures, et ce sont les punk rockers – à tendance largement power pop, quand même – de Melbourne, The Prize, qui ouvrent le feu en premier. The Prize ont deux particularités intéressantes : d’abord ce ne sont pas moins de trois guitaristes qui vont officier sur scène, ce qui nous garantit un bon déluge d’électricité bienfaisante ; ensuite, c’est la jeune femme derrière la batterie qui sera la principale chanteuse. Même si les batteurs-chanteurs sont une tendance qui monte, on est toujours impressionné par la capacité d’un (ou une) batteur (-se) à chanter juste et bien, sans perdre son souffle, tout en martelant ses fûts – et ce d’autant que, ce soir, c’est de la frappe sauvage et puissante ! Bon, le set de trente minutes, absolument impeccable, confirme qu’on peut toujours – en 2023 – composer et jouer des chansons aux mélodies accrocheuses à cent à l’heure, avec cette énergie héritée du punk rock. Et quand on a en plus, sur des morceaux tous bien ramassés, bien concis, des enluminures brillantes offertes par les deux solistes à la guitare, c’est un pur plaisir. On regrettera, car il faut bien une toute petite critique, une certaine uniformité – dans le rythme en particulier – des chansons, mais cette réserve s’efface devant le tout dernier titre du set, Had It Made, très convaincant. Un groupe à suivre, et une belle expérience scénique…
21h : Insensiblement, pendant le set de The Prize, le Trabendo s’est bien rempli, et on est bien proche de la pleine jauge lorsqu’Ambrose Kenny-Smith et son gang (dont Cook Craig, également bassiste de King Gizzard) débarquent sur scène. L’ambiance dans la salle est chaude bouillante, avec pas mal d’Australiens et d’Australiennes, visiblement venus là pour autre chose qu’enfiler des perles.
Le set débute avec un enchaînement parfait de titres extraits de Rapscallion, l’avant-dernier album des Murlocs, ce qui est un peu surprenant dans le contexte d’une tournée qui s’articulerait logiquement sur le dernier-né, Calm Ya Farm. Mais peut être Ambrose a-t-il décidé de centrer sa setlist (sept titres seront joués sur les dix-neuf) sur cet album très autobiographique, et qu’il n’avait pas encore défendu en France ? Pas de problème de toute manière, chaque chanson jouée ce soir est excellente : il y a une sorte d’énergie « classic rock », The Murlocs jouant un blues rock mâtiné de country qui semble intemporel, avec une utilisation parfaite de l’harmonica. Mais il y a aussi une pétulance qu’on relie naturellement au glam rock, la voix étonnante d’Ambrose – entre chanteuse soul et Donald Duck – rajoutant un côté « camp » à la musique. Mais surtout, les mélodies sont convaincantes, immédiatement mémorisables et faciles à chanter, ce qui est l’une des grandes forces des compositions du groupe. Et, bien entendu, le gros bonus du live, pour un groupe comme The Murlocs qui maîtrise parfaitement son sujet et joue avec une conviction sans faille, c’est la formidable énergie de l’interprétation !
Oui, la soirée commence très fort, mais ce qui va être frappant, et va peu à peu amener le set à l’incandescence totale, c’est un crescendo d’intensité comme on en voit peu. Ambrose ne semble pas a priori un grand showman, démonstratif et sûr de lui : d’ailleurs ceux qui avaient assisté au début du groupe parlaient d’une certaine timidité, de la part d’un chanteur qui était plus à l’aise peut-être au sein d’une plus grosse équipe comme celle de King Gizzard… Mais cette retenue finalement touchante, voire élégante, du frontman ne se livre pas facilement, qui préfère l’obscurité sur la scène (encore un concert où les photos ne sont pas facilitées…) disparaît peu à peu, et toutes les barrières finiront par céder.
Paradoxalement, après un Living Under A Rock réjouissant, et une première poussée de fièvre sur What’s If, un titre bien aimé du public, c’est le mid tempo de Loopholes, magnifique, qui déclenche une incontrôlable montée d’émotion. Et puis on en arrive à Wickr Man, l’un des titres les plus monstrueux des Murlocs, qui sera joué dans une version très rallongée, avec un final stupéfiant : c’est là que se produit ce basculement total vers l’hystérie, ce moment orgasmique que l’on attend toujours, à chaque concert, et qui se produit si rarement. Tout le Trabendo entre en transe, c’est une explosion incontrôlable, on n’a plus qu’à se cramponner à ce qu’on peut pour survivre : aspergés de bière, piétinés par les Australiens en folie dans le moshpit, on est en train de vivre l’un de ces moments de folie collective qui font le prix des grands concerts. Et ce salopard d’Ambrose renchérit immédiatement avec un Bobbing and Weaving colossal : allons-nous survivre à ce torrent d’électricité ?
A partir de là, toute la dernière partie du set sera un déchaînement sonique : Ambrose a abandonné son petit clavier, et manie la guitare (qu’il partage avec l’un de ses musiciens) avec férocité. Le final garage punk sur Bellarine Ballerina est une plongée dans le chaos total, avant que l’évidence jouissive d’un Rolling On plus souriant ne donne le signal des adieux. Car après une heure quinze de feu, nul besoin de jouer au rituel du rappel : le groupe a tout donné – et nous aussi !
Soyons honnêtes : même fans comme nous le sommes des beaux albums des Murlocs, nous n’attendions pas une aussi grosse claque en live ! Un pur moment de rock’n’roll, comme on disait autrefois, et la meilleure démonstration en cette année 2023 que le Rock continue à vivre, et atteint même de nouveaux sommets.
Texte et photos : Eric Debarnot