Il nous arrive d’oublier un instant combien la musique, jouée avec passion, simplicité, et générosité – et avec une bonne dose d’humour par dessus – est synonyme de joie de vivre. Hier soir, la belle soirée garage rock au Point Ephémère, avec The Darts et The Jackets, nous a rappelé cette évidence : « Rock’n’roll is fun ! »
S’il y a une chose qu’on peut, non, qu’on doit dire à propos du « garage punk », ou « garage rock » comme on disait avant, c’est que cette forme musicale qui prospère à l’écart du grand public et de tous les courants mainstream constitue la meilleure manière de passer une soirée à s’en mettre plein les oreilles, à gigoter comme un trépané soumis à la gégène, et à s’amuser comme si demain n’existait pas. La double affiche de ce soir, au Point Ephémère, alliant les Suisses atypiques (on veut dire loin des stéréotypes de leur pays) de The Jackets et les filles déchaînées de The Darts, est une proposition qu’il est impossible de refuser quand la vie est sombre. Bon, Elvis Costello, l’immense Costello, joue aussi ce soir à la Philharmonie, mais comme on aurait dû rester assis au lieu de secouer notre postérieur au milieu d’une foule surexcitée et souriante, le choix n’a pas été aussi difficile que ça !
20h30 : c’est le trio suisse – bernois pour être plus précis – de The Jackets qui ouvre le bal ce soir. Vêtements noirs avec une touche de blanc (col et revers de boutonnage), c’est la classe, dans un esprit garage rock, tendance punk quand même, que l’on qualifiera – par paresse sans doute – de « Flaming Grooviesque », c’est autour d’un son de guitare remarquable, à la fois hyper saturé et clair, tranchant, qu’ils construisent leur « punk’n’roll » comme ils disent. Au bout de deux minutes du premier titre, c’est malheureusement la panne : plus de voix, plus de basse ! Tout le monde prend ça du bon côté et le temps d’identifier et de résoudre le problème, le set reprend, ou plutôt recommence, comme si de rien n’était.
Schmidi, à la basse, semble sorti tout droit des années 70, et Chris, l’émigré américain, sera le métronome du set, avec une redoutable efficacité. Jackie, la pétulante chanteuse et guitariste, quitte ses lunettes et dévoile un impressionnant maquillage (ou plutôt une peinture) autour des yeux, qui lui donne un regard saisissant. On réalise très vite que, outre son jeu de guitare remarquable et son chant, Jackie possède la capacité de déployer tout un tas de mimiques et de poses théâtrales, qui rajoutent à la fois de l’humour et de la surprise au set. Le son est excellent, chaque morceau est joué avec une classe folle, débordant d’énergie. The Jackets manquent peut-être de grandes chansons vraiment frappantes, même si on aura apprécié le lyrique Dreamer, le franchement punk Queen of the Pill, ou le furieux et très traditionnellement garage You Said. Mais la qualité générale de leur répertoire, de leur présence scénique – y compris un crowd surfing de Jackie qui donne vraiment de sa personne -, de cette heure passée avec eux fait qu’on se demande à la fin si the Darts vont être capables de relever le défi, et de suivre une telle démonstration de classe.
21h50 : on réalise immédiatement que cette question de la comparaison entre les deux groupes ne se pose absolument pas : The Darts, le quatuor de Phoenix (Arizona) joue un garage rock qui louche vers l’héritage des Cramps (d’ailleurs les tenues légères et couleur panthère de ces dames rappellent le look de Poison Ivy), musicalement centré autour du Farfisa – mis bien en avant dans le mix ce soir – que tient Nicole, la chanteuse, et regorgeant de mélodies accrocheuses. Scéniquement, c’est un festival ininterrompu de poses spectaculaires – et très photogéniques, les photographes s’en donnent à cœur joie – des filles, qui dégagent une joie communicative. Bref, voici du rock’nr’oll presque old school désormais (le public n’est pas très jeune dans la salle !) offert avec une générosité et un sens du spectacle auxquelles il est difficile de résister. Attention, techniquement, c’est d’un excellent niveau aussi : la voix, très soûl, de Nicole est un plus indéniable, tandis que la frappe dure et agressive de Marie Rose fournit une armature très solide aux délires des musiciennes. La setlist revisite toute la carrière du groupe, avec, logiquement, un petit penchant pour les titres plus récents (Love Tsunami, irrésistible…), mais il faut souligner que les filles joueront au moins deux nouveaux morceaux d’un futur album qui sortira en 2024, dont Hang Around, qui figurera parmi les plus convaincantes de la soirée : voilà donc un groupe qui est loin d’avoir tout dit !
Pour les sept derniers titres du gig, Lou Sordo – des Wave Chargers – rejoint le groupe, au sein duquel elle a assuré le remplacement de la guitariste sur une partie des dates de leur longue tournée (plus de trois mois et une centaine de concerts en tout). L’alchimie entre les cinq musiciennes est évidente, et le plaisir qu’elle ont à jouer ensemble nous éclabousse littéralement dans la salle ! Le rappel sera particulièrement dévastateur, avec les tueries que sont Breakup Makeup et My Way.
Il est presque 23 heures, et le Point Ephémère mettra du temps à se vider, entre le merchandising qui attire les fans enthousiastes, et tous ceux qui n’ont pas envie que la fête rock’n’rollienne se termine déjà !
Texte : Eric Debarnot
Photo : Robert Gil