On attendait énormément du nouveau et très ambitieux film de SF de Gareth Edwards, dont on avait aimé Rogue One, mais, malgré ses qualités visuelles et l’originalité de son discours politique, The Creator passe à côté du chef d’œuvre qu’il aurait pu être…
Dans moins de cinquante ans dans notre futur (un futur sans crise climatique, et où seuls les USA et l’Asie semblent avoir survécu, mais c’est un détail…), les AI – logées dans des corps de robots sortis tout droit de Star Wars – causent la destruction de Los Angeles en faisant exploser une bombe atomique. Le gouvernement US déclare la guerre totale aux AI, alors qu’en Asie, la population (car il ne semble pas y avoir de structure étatique, pour le coup) a pactisé et même fraternisé avec elles. Qui plus est, y vit caché quelque part un mystérieux « créateur » qui aurait développé une arme absolue pouvant faire basculer la guerre, et que les militaires US veulent à tout prix débusquer. Au milieu de cette situation pour le moins confuse, l’agent Joshua (John David Washington, dans un registre très similaire à celui de son rôle dans Tenet) tente de retrouver sa femme, qui aurait survécu cinq ans auparavant à une attaque américaine…
A partir de ce point de départ, Gareth Edwards et son co-scénariste Chris Weitz (avec lequel il avait déjà écrit Rogue One, le seul « vrai film adulte » de l’univers Star Wars) ont imaginé une épopée gigantesque, doublée d’une quête émotionnelle (le « héros » est à la recherche de son amour perdu et du bébé qu’elle portait), qui prône, tel un anti-Terminator, la coexistence entre espèces, voire l’acceptation par l’humanité de sa disparition sous sa forme « pure ». Politiquement, The Creator est pour le moins audacieux, et révulsera les droites effrayées par « le grand remplacement », en prenant acte de la nécessité, ou mieux, de l’acceptation de la fin de notre civilisation.
Plus polémique potentiellement encore, Edwards et Weitz placent au cœur de leur film une très longue scène de massacre perpétué par l’armée US contre la population civile asiatique, alliée avec les robots / AI, et luttant héroïquement malgré le déséquilibre des forces en présence : impossible de ne pas y voir une réminiscence des atrocités commises au Vietnam, et une condamnation sans appel de l’ingérence US dans les choix politiques (le communisme, à l’époque, et ici l’assimilation de l’AI) d’autrui ! Vu sous cet angle, The Creator est passionnant, et dépasse largement le débat, finalement peu illustré ici, de l’apport potentiel de l’AI à la société humaine, et de ses dangers. Et cette fameuse scène, impressionnante du point de vue mise en scène et émotionnellement très forte, constitue le sommet d’un film qui, par ailleurs, est relativement décevant…
Décevant, The Creator l’est, car il est à la fois trop court et trop long. Avec guère plus de deux heures cinq minutes hors générique à leur disposition, les scénaristes réussissent pourtant à s’emmêler les pinceaux avec des scènes répétitives, qui n’apportent rien au film, générant un long tunnel d’ennui au centre du film. A d’autres moments, ils s’efforcent de raconter des péripéties complexes à un rythme épuisant, ce qui empêche que le spectateur puisse s’impliquer convenablement au côté des personnages, et le place dans une position extérieure à l’action. Si l’on prend, par exemple, l’incroyable rapidité avec laquelle Edwards expédie l’évasion de Joshua et Alphie et leur arrivée sur Nomad, on ne peut s’empêcher de ricaner devant la manière dont tous les obstacles sont facilement contournés par les fugitifs. Du coup, la suspension de l’incrédulité ne fonctionne plus, et le spectateur décroche – ce qui se produit régulièrement – devant un film qui en devient littéralement interminable. Si l’on ajoute une multiplication honteuse de coïncidences favorables, de raccourcis invraisemblables, et de situations absurdes, on ne peut que déplorer qu’un tel « film d’auteur » (car, indéniablement, The Creator est un film d’auteur à gros budget, et non une grosse machine de studio…) tombe dans les mêmes travers que n’importe quelle production hollywoodienne lambda.
Il reste toutefois une autre raison d’aller voir The Creator que son discours politique, et c’est l’impressionnante qualité – au sens de vraisemblance – de ses effets spéciaux, absolument bluffants du début à la fin, qui nous aide à passer outre un recyclage d’idées, voire de clichés déjà vus dans d’autres films. Le choix d’une image chaude, réaliste, à l’opposé de l’esthétique SF dominante au cinéma et dans les séries TV, embellit encore The Creator, renforçant la « vision » des auteurs. Du coup, on se dit que c’est d’autant plus dommage que Edwards et Weitz n’aient pas mieux travaillé et leur scénario et le rythme général de leur film : on passe à côté de ce qui aurait pu être un nouveau chef d’œuvre du genre.
Eric Debarnot