Vendredi soir, au Supersonic, on a dansé le folklore des Appalaches et on a ondulé comme dans un bouge de l’époque de la Prohibition, avec les excités de The Bridge City Sinners : ce fut assez épique, et même très beau parfois.
Tiens, ça fait un moment qu’on n’a pas célébré nos racines folk / populaires dans une ambiance festive (les Ramoneurs de Menhirs au Trabendo il y a deux ans ? Bon, il y a eu Gogol Bordello en juin dernier…), alors le passage des Américains de The Bridge City Sinners au Supersonic est l’occasion de rafraîchir notre pratique des danses folkloriques. Le problème est qu’on n’est pas les seuls à avoir eu cette envie, et le Supersonic est complètement bourré ce soir, ce qui ne présage rien de bon au niveau de la fosse…
21h30 : c’est à un duo australien, venant de Melbourne en fait, comme une grande majorité des artistes de Down Under qui comptent aujourd’hui, qu’il incombe de faire monter la pression. Thee Cha Cha Chas, comme ils s’appellent, c’est donc lui, Lluis – l’homme-orchestre – à la guitare et à la batterie, et elle, Kylie, à la basse. Ils chantent tous les deux et plutôt bien, ce qui doit être souligné. Leur musique est plus traditionnellement rock sixties, voire rockabilly que purement garage punk, et d’ailleurs ils reprennent le I Can’t Explain des Who et Dr. Feelgood (She Does It Right, nous semble-t-il…). Il y a une rusticité dans leur son qui pourrait être qualifiée de puriste si leur attitude n’était pas aussi simple, aussi bon enfant : ils exsudent la joie d’être ici à Paris et de jouer dans un Supersonic bondé et enthousiaste. De belles bousculades à la fin du set, en particulier durant les formidables Rock ‘n’ Roll Till I’m Dead et Runnin’ Out Of Time, ont d’ailleurs prouvé que les Australiens étaient reçus 5 sur 5 ici !
22h30 : C’est sur la BO de Ghostbusters que le quintet de Portland, The Bridge City Sinners (avec ou sans « The », ça semble varier), entre en scène, accueilli par des fans absolus qui semblent déjà en transe : il va nous falloir nous accrocher à notre espace vital au premier rang, car ça va être chaud ! Dès Kreacher – dans une version beaucoup moins… « subtile », plus déjantée que l’originale -, on se retrouve dans cette ambiance punk folk dont les Pogues restent le plus bel exemple – même si Gogol Bordello se défendent bien dans le genre : « I am Kreacher, king of the rats ! », gronde, à un mètre de nous, le joueur de banjo d’une voix sépulcrale tout en faisant trembler la scène à coup de bottes. Musicalement, on alterne entre de la country music US bien roots, avec banjo et violon pour bal western, et de jolies ambiances jazz des années 30 (on voit bien certaines chansons en bande son d’un film sur les Incorruptibles et Al Capone), mais le tout est parfois un peu trop brouillé par la volonté prépondérante de jouer « punk » : on aimerait mieux entendre la belle voix de Libby Lux, qui, en contradiction avec les textes volontiers « sataniques » des chansons, dégage surtout une formidable énergie positive.
Heureusement, plus le concert avance, plus le groupe est en place – les musiciens sont particulièrement compétents – et les chansons prennent de l’ampleur : Ashes est une tuerie, mais c’est bien Rock Bottom qui est la plus belle chanson de la soirée, magnifiquement chantée par Libby, avec son message d’espoir fort, à propos de l’addiction à l’alcool (alors que certains membres du groupe se passent allègrement une bouteille de tequila, partagée d’ailleurs avec les fans !) : « There ain’t no rock bottom for me /… / rock bottom is only six feet deep » (Je n’arrête pas de sombrer, mais le fond n’est jamais plus profond que six pieds sous terre).
50 minutes, et arrive l’heure de boucler le set sur la grande chorale générale de Through and Through. Deux des musiciens tentent un bref slam, ce qui n’est pas facile au Supersonic et ravage nos nuques… Mais les fans ne veulent pas les laisser partir, et eux ne veulent pas arrêter de jouer : le groupe – sans Libby, il faut le noter – revient en se plaignant ardemment que la direction de la salle ne veut pas qu’ils continuent, alors qu’ils sont des « travailleurs » qui veulent juste faire leur boulot pour que le public passe le meilleur moment possible. Ils jouent la fameuse chanson militante Which Side Are You On datant de la Harlan County War : pas sûr que le Supersonic apprécie les violents (et quand même assez injustes…) : « Fuck this fucking venue ! » avec lesquels ils quittent finalement la scène à 23h30.
Bien cassés par l’exercice très physique que nous venons de pratiquer, il ne nous reste plus qu’à quitter le Supersonic où s’opère l’habituel échange de public entre fans acharnés de musique live et nightclubbers qui vont danser. Jusqu’au bout de la nuit.
Texte et photos : Eric Debarnot