« Toxic Berlin » de Calla Henkel : un premier roman (trop) ambitieux

Toxic Berlin est un roman très généreux, c’est le moins que l’on puisse dire. Calla Henkel nous propose en effet une œuvre dense, qui mêle récit d’apprentissage, critique sociale, analyse psychologique et thriller. Tout cela en un peu plus de 400 pages. C’est beaucoup, et même sans doute un peu trop.

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© Max Pitgeoff

Née à la fin des années 80 à Minneapolis, l’Américaine Calla Henkel s’est depuis longtemps installée à Berlin où elle mène plusieurs activités, toutes liées au monde de l’art. Nul doute que c’est cette expérience qui est à l’origine de son premier roman, Toxic Berlin. Elle y raconte en effet l’histoire de Zoe et Hailey, deux jeunes new-yorkaises qui débarquent dans la capitale allemande où elles intègrent un école d’art. Quand on leur offre l’opportunité de sous-louer le très bel appartement de Béatrice Becks, une romancière à succès partie achever son prochain roman à Zurich, elles saisissent leur chance. Commence alors pour les deux jeunes femmes une vie de rencontres, de fêtes dans des lieux branchés, de nuits dans des clubs très sélects. Mais, cette insouciance n’est que façade : le malaise et l’angoisse s’immiscent progressivement dans le quotidien de Zoe et Hailey.

Toxic BerlinL’une des réussites du roman vient du fait que Calla Henkel a confié la narration à Zoe, personnage fragile et attachant. Traumatisée par le meurtre mystérieux de sa meilleure amie, Ivy, Zoe est venue à Berlin pour échapper à cette tragédie mais aussi pour essayer de trouver sa place et exister dans un monde qui lui semble souvent un peu étranger. Son attitude, parfois à la limite de l’obsession, étonne et intrigue le lecteur. A l’opposé, sa colocataire Hailey est une jeune femme dynamique et décidée, fascinée par la célébrité et par l’image qu’elle renvoie. Mais, d’une certaine manière, les deux personnages se ressemblent, au moins dans leur volonté de s’inventer une vie différente de la leur. Si Zoe semble obsédée par Ivy et Hailey, au point de se glisser parfois dans leurs vêtements, Hailey rêve de devenir l’une de ces stars qui peuplent les magazines qu’elle dévore. Elle n’a d’ailleurs qu’une idée en tête : faire de sa vie une œuvre d’art.

Calla Henkel ausculte patiemment ses deux héroïnes pendant plus de quatre cents pages. C’est précis, méticuleux, toujours lucide, notamment lorsqu’elle explore les rapports qu’elles entretiennent avec les réseaux sociaux, la réalité et la fiction. Certains passages sont passionnants, d’autres un peu longs… Sans doute le roman aurait-il gagné à être un plus resserré, même si on ne peut nier le talent de l’autrice qui cherche à mêler l’analyse psychologique de ses personnages et la description des milieux underground de la capitale allemande. Calla Henkel n’oublie pas non plus les motifs du thriller, qu’elle installe par petites touches, et qui finissent par envahir la quasi-totalité du récit dans son dernier quart. Mais cette partie peine parfois à convaincre, à l’instar du coup de théâtre final, aussi prévisible qu’inutile. En définitive, on ressort de cette lecture avec le sentiment  d’avoir découvert une romancière qu’il faudra suivre avec attention, sans pour autant parvenir à occulter les fragilités d’un premier roman qui pèche sans doute par excès d’ambition.

Grégory Seyer

Toxic Berlin
Roman de Calla Henkel
Traduction : Rémi Boiteux
Éditeur : Les Arènes, collection EquinoX
448 pages – 23 €
Date de parution : 21 septembre 2023