Auteur à part dans l’histoire du Prix Goncourt, Jean Rouaud, raconte dans son nouveau livre, Comédie d’automne, les mois et les semaines qui ont précédé l’obtention en 1990 du prestigieux prix littéraire pour son roman Les champs d’honneur.
Comédie d’automne est un récit qui s’inscrit dans la suite logique de son précédent ouvrage Kiosque, paru en 2019 chez Grasset, dans lequel il racontait sa vie, son métier de Kiosquier, au 101, rue de Flandre, à Paris, dans le 19e arrondissement. Cette fois encore, il revient sur sa vie d’avant, sur ses rencontres, ses relations avec les habitués mais il évoque surtout, comment il a fini par quitter son emploi pour entrer de plain-pied dans le monde de la littérature.
Comédie d’automne nous donne ainsi l’occasion de pénétrer dans les coulisses du milieu littéraire, de comprendre comment les grands éditeurs (Grasset, Seuil, Gallimard…) se sont (pour ainsi dire) partagés les prix entre eux durant tant d’années grâce à un jeu d’influences entre les membres de l’Académie Goncourt.
Et quant un auteur issu d’une petite maison d’éditions comme Minuit s’invite à la fête et, qui plus est, par le biais d’un illustre inconnu, il y a tout lieu de penser qu’il s’agit là d’une erreur. Car ni Jean Rouaud, ni, son éditeur Jérôme Lindon n’auraient imaginé recevoir une telle recompose pour un livre qui avait bénéficié, pour sa sortie, d’un premier tirage très modeste… Un Jérôme Lindon jamais cité dans le livre, tout comme la plupart des personnages publiques évoqués, hormis le regretté Bernard Rapp, qui a contribué à faire connaître Les champs d’honneur quand il a invité Jean Rouaud pour la première de son émission Caractères, qui avait la lourde tâche de remplacer Apostrophes de l’indéboulonnable Bernard Pivot.
Comme bon nombre d’écrivains débutants, Jean Rouaud n’avait pas d’autre ambition que celle d’être publié et de continuer sa petite vie de marchand de journaux, bien tranquille, lui le natif de la Loire-inférieure (comme aimait le préciser Lindon) et qui avait écrit avant tout pour rendre hommage à un père disparu et aux soldats tombés au champ d’honneur de la grande guerre. Et puis finalement, le hasard, la chance, et le talent ont fait le reste. Car, rappelons qu’en cette année 1990, le prix Goncourt était, parait-il, pour ainsi dire déjà acquis à Philippe Labro. Et une fois de plus, certains allaient dénoncer un prix qui récompensait toujours un auteur issu d’une maison bien représentée dans le jury du Goncourt… Sauf qu’Hervé Bazin, alors président du Jury en 1990, en a décidé autrement. Histoire de redorer le blason du Goncourt, il a décidé d’inviter dans la partie Les champs d’honneur. On connaît la suite…
C’est toujours un grand bonheur que de retrouver la prose de Jean Rouaud, de parcourir le récit de vie de cet homme modeste, racontant ses souvenirs, se replongeant dans la fin des années 80 et le tout début des années 90, au moment où débute la première guerre du Golfe, de l’écouter parler de ses liens d’amitié avec un client fidèle venant chaque après-midi acheter la première édition du Monde. Touchant aussi quand il parle de sa mère, de son rapport à ses origines, dressant, au fil des pages, un autoportrait sans complaisance duquel ressort une forme sincérité et de droiture évidente, lui qui a toujours voulu resté éloigné du petit monde germanopratin.
Comédie d’automne est aussi un livre rempli d’anecdotes charmantes, notamment celle qui concerne sa rencontre empreinte de timidité avec Robert Doisneau, le jour de la remise du prix Goncourt. Un Livre ponctué d’humour, d’intelligence et de subtilité, racontant le parcours d’un écrivain pour lequel aujourd’hui on évoquerait sans doute le terme de « transfuge de classe », et qui continue, 33 ans après son Goncourt, de nous régaler, de nous faire passer encore de très bons moments en compagnie de ses mots et de ses souvenirs.
Benoit RICHARD