Sans encore résoudre tous les problèmes posés par leur album précédent, Antartica, les Californiens punks / post-punks de Flat Worms nous proposent avec Witness Marks, et sous la houlette de l’irremplaçable Ty Segall, un nouveau disque moins froid et plus engageant, et surtout plus ambitieux…
Nous n’avions pas été totalement convaincus par Antartica, le second album de Flat Worms, datant de 2021, qui ne tenait pas les promesses de leur « debut album ». Annonçons d’emblée qu’il en va autrement de Witness Marks, la nouvelle production du trio punk tendance post punk (à moins que ça ne soit le contraire) de Los Angeles. Il faut dire que le titre d’ouverture, Sigalert, est une claque retentissante, digne des grands morceaux de IDLES. Basse caverneuse, guitare abrasive qui crisse mais qui n’en lévite pas moins, rythmique métronomique et voix froide débitant un texte quasi parlé, jusqu’à une brève mais prometteuse apothéose finale : ça ne dure que deux minutes et trente secondes, mais c’est assez proche de la perfection dans le genre, et ça prouve au moins que le « supergroupe » Flat Worms est capable de tenir toutes ses promesses. « It’s when I started to move / That I started to stumble / It’s when I started to feel / My Achilles’ heel » (C’est quand j’ai commencé à bouger / Que j’ai commencé à trébucher / C’est à ce moment-là que j’ai commencé à ressentir / Mon talon d’Achille) : les ruminations de Will Ivy sur le mal-être contemporain et le triste état du monde touchent toujours aussi juste.
La question est évidemment de savoir si les dix morceaux suivants seront au même niveau : eh bien, même si ce n’est pas tout à fait le cas, la bonne nouvelle est que la grosse majorité ne déçoivent pas, mais surtout vont explorer d’autres styles, d’autres atmosphères, presque…, tout en restant globalement fidèles à la doxa post punk. SSRT et Sleeping Swans louchent tous deux vers le Sister Ray du Velvet (qui hante comme un écho fantôme les deux chansons), ce qui est rafraîchissant et nous change de l’éternelle célébration de Joy Division et de la cold wave qui paralyse de nombreux groupes post-punks. La raideur et les dissonances de Time Warp in Exile nous remémorent combien on a aimé Wire. La dissonance, encore, du solo de guitare illumine un Orion’s Belt plus rapide, mais qui risquerait sinon le manque d’originalité. Gotta Know et Sick of My Face nous rappellent alors que les Stooges étaient les premiers punks, si longtemps avant tout le monde. 16 Days ose même un soupçon de mélodie au refrain, une tentative de chant « entraînant » (bon, on exagère un tout petit peu !), ce qui est… audacieux, et surtout très efficace au milieu d’un titre plutôt sombre et obsessionnel.
Wolves In Phase, avec son intro « surf » et la complexité de son développement, ouvre enfin une piste pour un futur du groupe qui ne se limiterait pas à des bombes refroidissantes de deux minutes trente (durant quatre minutes, ce titre pourrait presque être qualifié de « rock progressif » du point de la scène punk angelena). See You At The Show, plus « rock » que « punk », est LE morceau qui introduit ce qu’on n’attendait pas (plus ?) du groupe, de l’émotion : probablement la chanson du disque qu’on aura le plus de plaisir à écouter encore et encore. La conclusion sur le titre Witness Marks est parfaite, combinant évidence et paradoxes sonores…
Et puis, si l’on se penche un minimum sur les textes d’Ivy, tous ambitieux, on comprend que la raison pour laquelle la musique de Flat Worms – en dépit de la production exubérante de Ty Segall, toujours généreux, qui remplace avantageusement Steve Albini – n’est pas un encouragement aux pogos décérébrés, c’est bien la vision sombre, apocalyptique même, de notre futur qui accable le chanteur-guitariste : « It was an unripe idea of a morning / And the sun came out like a warning / And it lasted until the news broke, everybody gasped / And startеd packing up the suitcase / But nobody had a place to go / And thеre was too much traffic anyways / From the minute we got to leaving / No, we didn’t stand a chance » – C’était une idée pas très aboutie d’un matin / Et le soleil est apparu comme un avertissement / Et cela a duré jusqu’à ce que la nouvelle éclate, tout le monde a paniqué / Et a commencé à faire sa valise / Mais personne n’avait où aller / Et il y avait trop de circulation de toute façon / Dès la minute où nous sommes partis / Non, nous n’avions aucune chance (Suburban Swans).
En tous cas, en continuant dans cette voie, en explorant en particulier les riches atmosphères de la fin de l’album, Flat Worms regagne toute notre attention. Du coup, on attend beaucoup de la suite…
Eric Debarnot