Un demi-siècle ! Oui, ça fait déjà 50 ans que Magma ont sorti leur œuvre majeure, Mekanïk Destruktïw Kommandöh… ça se fête. Et ça se fête deux soirs de suite à Pleyel, même !
On pourra discuter si Mekanïk Destruktïw Kommandöh, dont on fête les 50 ans, est le meilleur album de Magma ou non, ça n’a pas vraiment d’importance : c’est celui dont le nom – en kobaïen – a marqué son époque, et qui a conféré une célébrité « universelle » au groupe de Christian Vander. Rappelons toutefois à ceux qui ricaneraient dans leur coin devant la soi-disant naïveté de l’allégorie SF que narre Mekanïk Destruktïw Kommandöh, qu’on parle ici du défi lancé à une humanité qui n’a plus de chance de survie sur la planète Terre, et qui dépend d’extra-terrestres, les Kobaïens, pour leur évacuation vers un nouveau monde plus accueillant. Toute ressemblance avec une situation réelle etc. etc.
Sans surprise, comme aux Folies Bergères il y a juste un an, le public date lui aussi de l’époque de l’album… même si, heureusement, on remarque un pourcentage raisonnable de gens plus jeunes, voire bien plus jeunes. On appréciera bien entendu qu’une bonne partie des spectateurs – ceux qui ne sont pas « bien habillés » comme pour un « concert classique » -, portent des t-shirts Magma avec le symbole « griffu » du groupe. Tout le monde est confortablement installé dans les sièges numérotés de la Salle Pleyel, prêt à décoller dans un trip qui durera quand même deux heure quinze, en deux parties, avec un entracte entre les deux. Pas radins, Magma !
Il est 19h05 quand Christian Vander, après une brève introduction générique de l’œuvre – qui aurait débuté par une succession de « ré », nous dit Thierry Eliez, le pianiste -, se lance dans une narration en kobaïen, avant de s’asseoir lui aussi derrière un piano, abandonnant le chant principal à des voix plus jeunes. La totalité des vocalistes entre ensuite un à un, et c’est à sept voix (avec quatre voix principales !) et deux pianos que sera interprétée, pour une première partie de 45 minutes, une version « acoustique » de Mekanïk Destruktïw Kommandöh. Tout cela est clairement très opératique, mais la répétitivité des vocaux confère également à cette version – originale et même surprenante par rapport à l’originale – une texture expérimentale intéressante. A noter quand même qu’au bout de 30 minutes, les chanteuses et chanteurs sortent de scène, et que Vander se lance seul dans des vocalises joliment aberrantes, de dérapages en cris primitifs, qui tranchent avec le perfectionnisme « classique » du set. Plus tard, il nous offrira aussi un passage assez délirant au piano, déclenchant des cris d’enthousiasme du publie : « Énorme ! » est le commentaire que nous entendons le plus autour de nous. On apprécie particulièrement les beaux instants de grâce légère à la fin de cette version acoustique, assez loin de l’original du point de vue esprit.
19h50 : Stella Vander nous explique qu’après cette première version, qui « revient aux débuts de l’œuvre », nous prendrons un entracte de 20 minutes avant le retour de Magma, avec « toute la mécanique au grand complet ».
Et c’est à 20h15 qu’on retrouve le groupe, avec guitare et basse, mais aussi avec Christian à la batterie. Ce second set d’une heure et demie consistera en fait en une version électrique de Theusz Hamtaahk, dont Mekanïk Destruktïw Kommandöh ne constitue que le troisième mouvement, les deux premiers, Theusz Hamtaahk et Wurdah Ïtah, étant interprétés dans des versions abrégées.
Une déception : le niveau sonore est vraiment insuffisant, et nous prive largement de la puissance de l’œuvre originale – même s’il est vrai que l’interprétation en général est beaucoup moins martiale et même violente qu’elle ne l’était à l’époque. Le jeu de Vander à la batterie, dont on sait que la technique vient du jazz, reste très beau, mais n’est certes plus aussi exubérant : à 75 ans, il convient de s’économiser un peu !
On appréciera toutefois le moment où ne restent sur scène que les cinq musiciens, qui nous offre un passage atonal, abstrait, du plus bel effet (on a pensé à un moment au travail de BEAK, par exemple). Le retour des chanteurs offre alors un déploiement de puissance – encore relativement contenue malheureusement – tout à fait convaincant. Tout cela est évidemment un festival de chaos et de stridences, avec de beaux passages plus calmes où la voix de Stella s’envole. La performance vocale du chanteur principal est régulièrement extraordinaire, avec des tonalités d’opéra bouffe. Le final, lyrique, voit l’ajout de cinq cuivres sur scène… avant que Vander ne chante seul un morceau d’abord extatique, puis peu à peu délirant.
Le set électrique se termine à 21h40, mais nous aurons droit, outre la présentation de la nombreuse troupe, à un « La » Dawotsïn – un très beau thème, indiscutablement – chanté par Christian (on se souvient que Mike Oldfield s’en serait « inspiré » pour son Tubular Bells…).
Et le dernier salut sera le plus chaleureux : « On vous souhaite de belles musiques à l’infini ! ».
L’infini, c’est sans doute un peu trop ambitieux, mais cinquante de vie encore, pourquoi pas ? Après tout, même si l’interprétation en 2023 de Mekanïk Destruktïw Kommandöh n’a plus la grandeur épique et la force de la version originale, il est difficile de ne pas être heureux pour Christian et Stella de cette reconnaissance de la part d’un public de mélomanes (même si, finalement, ce serait presque dadaïste, ces chants en kobaïen que des centaines de personnes bien mises et bien éduquées – et d’un âge certain – écoutent le plus sérieusement du monde… !).
Quant à nous, nous ne savons pas s’il nous faut réellement espérer que les Kobaïens débarquent de leurs soucoupes pour nous sauver de cette planète que nous avons dévastée, mais, au cas où, nous avons appris pour les saluer les premières phrases de Mekanïk Destruktïw Kommandöh : « Hür! Dëh antzïk Köhntarkösz Kreuhn Köhrmahn / Stöht ẁurdah Melekaahm / Uz, dëh ᴧërkbaahn Kreuhn Köhrmahn / Zëbëhn Straïn dë Ğeuštaah ẁortsiš ». Aucune idée de ce que ça veut dire, mais on espère qu’ils seront flattés que nous parlions leur langue !
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
Magma – UNE HISTOIRE DE MËKANIK – disponible depuis le 6 Octobre 2023
Magma célèbre les 50 ans de son troisième album emblématique, sous la forme d’un coffret somptueux, limité à 2 000 exemplaires. Intitulé Une histoire de Mëkanïk – 50 Years of Mekanïk Destruktïw Kommandöh, les pionniers français du rock d’avant-garde et les inventeurs du zeuhl retracent l’évolution de cet opus mythique, de l’enregistrement original remasterisé à des décennies d’incarnations diverses , en 7 vinyles.
Merci pour ce bon compte rendu de ce superbe concert.
Mais s’il vous plait, arrêtez de ressasser cette prétendue histoire de Mike Oldfield qui se serait inspiré de La Dawotsin pour « Tubular bells ». Ce n’est qu’un mythe, ça n’a jamais existé, ça ne tient pas les faits de l’histoire qui sont que Mike Oldfield a composé TB (et enregistré sa première démo) en 1971. Il l’a enregistré au Manor de Virgin en 1973, au moment où Magma y enregistrait aussi et Vander jouait au piano ce thème de La Dawotsin, qu’il commençait à répéter. Et voilà d’où vient ce mythe : Vander et Oldfield se sont croisés au Manor en 1973.
Mais les faits sont là, Oldfield avait déjà composé 2 ans plus tôt le fameux ostinato au piano de l’intro de Tubular Bells qui l’a rendu si célèbre. Que « La Dawotsin » de Vander ait une structure similaire au piano n’est que pure coïncidence.