Nadir Moknèche filme, avec une infinie tendresse, deux êtres que tout sépare embarqué dans un mariage arrangé. Deux êtres qui, du mieux qu’ils peuvent, se dépatouillent avec leurs rêves et leur désir d’émancipation.
Saïd n’en veut pas, de ce mariage arrangé qui convient surtout à ses parents, pressés de le voir, à son âge, ne plus être célibataire, et pas dupes non plus, mais refusant de l’admettre, de son homosexualité. C’est que les traditions ont la vie dure… Et puis les traditions (et les tabous), ce n’est pas vraiment compatible avec les désirs, avec les vrais, les enfouis. Pour Hadjira, c’est une histoire d’amour malheureuse avec un petit dealer de rien du tout, et un séjour par la case prison, qui la forcent à accepter ce mariage, comme une sorte de réhabilitation, et poussée par une mère émancipée et fantasque. Ces deux-là vont donc s’unir malgré eux, sans se connaître, pour faire plaisir à papa et à maman, et avec le poids familial en constante embuscade.
Nadir Moknèche les filme, toujours avec infinie tendresse, dans un quotidien qu’ils n’ont pas voulu, qu’ils subissent et s’en accommodant comme ils peuvent. Saïd parce qu’il aime les garçons, le sexe, et parce qu’il aime Vincent, avec lequel il voudrait vivre. Hadjira parce qu’elle veut se débarrasser de cette mauvaise réputation qui lui colle à la peau, et parce qu’elle sent (mais sans savoir pourquoi) que Saïd ne veut pas la même chose qu’elle, elle qui veut se ranger, construire un foyer, avoir des enfants. Sans dramatiser, sans forcer, sans esbroufe, parfois même avec humour, Moknèche les observe se dépatouiller avec leurs rêves, et puis avec leur envie d’émancipation, très forte, mais empêchée par les conventions, les pressions et les mensonges.
Chez Saïd surtout qui se ment, qui ment à Hadjira, ment à sa famille, ment même à ces mecs qu’il rencontre en jouant la caillera de base, en jouant ce rôle qu’on paraît, sans cesse, attendre de lui (le mari attentionné, le petit frère, le fils respectable). Tout est désordre, dira-t-il à Vincent. Dans sa tête, dans son corps, dans sa vie. Alors comment on fait, comment on fait pour se sentir libre ? Moknèche ne donnera pas de réponses, ne cédera pas à nos attentes en proposant une conclusion trop évidente, qui résoudrait tout, mais en laissant Saïd et Hadjira sur une plage face à leur avenir, radieux sans doute, décidé mais imprécis c’est certain.
Michaël Pigé
Très chouette chronique pour un excellent film ! Quelle justesse, quelle intelligence, un plaidoyer pour la tolérance aussi, en dehors des clichés habituels. J’ai adoré !