La Pologne, l’autre pays du polar ? Peut-être bien. En tout cas Jakub Szamalek est un des maîtres du polar polonais et du polar contemporain, écriture précise, rythme haletant, découpage précis, personnages attachants et un sujet en béton – les failles d’internet. On se languit forcément le prochain tome de la trilogie !
Second tome de la trilogie du darknet que Jakub Szamalek a commencé avec l’excellent Tu sais qui (dont nous avions dit beaucoup de bien ici) et qui continue sur le même rythme. Vous avez aimé le premier, vous adorerez le second et réciproquement (en sachant qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu Tu sais qui pour lire Datas Sanglantes, mais lire Datas Sanglantes avant Tu sais qui serait un peu dommage). Aucune différence notable entre les deux, aucune baisse de qualité, aucune baisse dans le rythme, dans le plaisir de lecture. On dirait qu’ils ont été écrits d’un seul jet. Et toujours le même soupçon d’invraisemblance et d’exagération, dont on se moque évidemment toujours comme de sa première paire de chaussette. On marche, on court, on tourne les pages et le livre est fini avant de s’en rendre compte.
D’abord parce que Jakub Szamalek fait parfaitement le job. Il sait décidément raconter des histoires qui tiennent en haleine. Son sens du découpage et du montage est parfait, ce qui lui permet d’enchaîner les scènes en gardant un vrai suspense et un rythme très rapide. Jakub Szamalek a aussi gardé son sens du détail et de l’humour, ce qui ne gâche rien. Et il y a de l’amour (un peu), de la violence (pas mal), un tueur à gages absolument sans scrupules, comme il se doit. Il y a aussi cette héroïne, la Julita Wojcicka du tome précédent, qui a gagné en connaissances techniques, qui n’a toujours pas froid aux yeux sans pour autant être toujours franchement sympathique (un peu tête à claques, la Julita, mais on aime bien ce côté-là aussi). Julita continue l’enquête commencée dans Tu sais qui, une enquête qui prend un tour particulier puisqu’il s’agit ici de politique, et de l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux pour manipuler les opinions des individus, des électeurs et influencer sur le résultat d’une élection. Vous aviez toujours voulu savoir comment c’était possible ? Vous aurez la réponse. Jakub Szamalek explique tout ça en quelques paragraphes, simplement, avec pédagogie, et montre que ce n’est pas si compliqué. Un peu de moyens financiers, quelques ordinateurs et des programmeurs doués… et il n’en manque pas !
Cette capacité d’expliquer des problèmes auxquels nous sommes confrontés de manière croissante est une des forces de Jakub Szamalek. Finalement, on peut bien se ficher qu’il pousse quelques fois le bouchon un peu loin – la scène dans l’hôtel à Las Vegas a un côté « Jason Bourne » rocambolesque un peu décalé – parce que le sujet même de ce polar, et le sujet de la trilogie, nous scotche à notre siège. Parce que les révélations et les explications sur comment fonctionne internet, sur ses faiblesses et vulnérabilités sont assez effrayantes. Il y a les firmes qui bourrent leurs logiciels ou même leurs mails de malwares, de pixels espions, pour accumuler le plus d’informations possibles sur notre vie privée – et pas simplement les firmes mal intentionnées, toutes, absolument toutes. Il y a évidemment les réseaux sociaux, qui sont un piège incroyable parce qu’ils nous rendent vulnérables aux pressions et manipulations, mais aussi parce qu’ils nous mettent complètement à nu – vous êtes sur une photo postée par quelqu’un que vous ne connaissez pas sur un réseau social pour lequel vous n’avez pas de compte ? Trop tard, on peut vous retrouver (relativement) facilement. Finalement, on se dit qu’on a effectivement quelques raisons de douter qu’internet puisse être autre chose qu’un vaste piège, un attrape-nigaud… auquel nous nous faisons tous prendre d’ailleurs. Volontairement, ou pas.
Alain Marciano