Bien qu’imparfait, le livre Kraftwerk Trans-Europe-Express de Thomas Gaetner, qui porte sur une chanson emblématique de Kraftwerk, permet de revenir sur le rôle-clé des Allemands dans le paysage musical de la fin des années 1970.
Signé d’un auteur de livres consacrés au Hip Hop et à l’Electro, KRAFTWERK Trans-Europe-Express semble relever du même prototype que les précédents livres de la collection seveninches. Le groupe Kraftwerk y est décrit à travers la chanson Trans-Europe-Express qui fit date comme l’enfant d’un lieu (Düsseldorf) et d’un contexte historique précis : une ville plus proche de la pointe Ouest de l’Europe que du Rideau de Fer, une Allemagne se reconstruisant après-guerre, souhaitant oublier le passé nazi et se projeter dans l’avenir. Par son titre, le morceau s’inscrit dans une identité européenne. Les Trans-Europe Express étaient des trains première classe sillonnant l’Europe destinés à concurrencer le transport aérien sur le terrain de la clientèle haut de gamme. Ils opérèrent entre 1957 et le milieu des années 1980. Et le sujet fut suggéré au groupe par le journaliste Paui Alessandrini lors d’un déjeuner au Train Bleu, restaurant situé Gare de Lyon et disposant d’une vue sur les départs des trains.
Le livre fait un focus particulier sur les liens entre Kraftwerk et Bowie. Le morceau mentionne en effet l’album Station to Station, Iggy Pop et David Bowie. Le Thin White Duke rendra la pareille sur l’album Heroes avec le morceau V-2 Schneider (référence au nom d’un des deux fondateurs de Kraftwerk). Et bien sûr le groupe allemand sera une des grandes inspirations de la trilogie berlinoise. L’autre lien avec un nom majeur du rock évoqué est celui avec Joy Division/New Order. L’album portant le titre du morceau devient en effet vite un disque de chevet de Ian Curtis et suite à son suicide l’aventure New Order sera l’occasion pour les survivants de se réapproprier l’influence du groupe allemand. L’allure clean du groupe et son style musical électronique sont décrits comme en contraste avec les deux grands courants musicaux de 1977 (le Disco et le Punk). Ils sont inscrits dans une scène électronique seventies incluant entre autres Vangelis et Jean-Michel Jarre, une scène qu’ils influenceront aussi (Giorgio Moroder par exemple).
L’impact du morceau sur le Rap et la Techno est également examiné. Trans-Europe-Express voit sa mélodie reprise dans Planet Rock d’Afrika Bambaataa et The Soulsonic Force, un recyclage annonciateur du développement du sampling dans le Rap. Un pont va également se créer entre la Motor City (Detroit) et la ville de la métallurgie (Düsseldorf). Résidant à 50km de Detroit, les Belleville Three (dont Derrick May) sont subjugués par le groupe allemand et inventent la Techno. En revanche, les passages sur les exemples de samplings et de covers du groupe sont un peu moins passionnants, de même que celui sur les liens entre le morceau et le générique de la série K 2000 et celui concernant l’intronisation au Rock and Roll Hall of Fame.
Je partage assez fortement les propos ici repris de Quentin Dupieux et Jean-Michel Jarre sur la froideur émotionnelle de la musique du groupe. Je lui ai souvent préféré la sentimentalité plus directe de ses suiveurs Depeche Mode. Mais même avec ses défauts le livre a le mérite de rappeler un moment où des bascules importantes de la musique populaire ont été initiées de l’autre côté du Rhin.
Ordell Robbie