Buffy contre les vampires est considérée comme une grande série « pop » avant l’heure des grandes séries, mais a surtout déjà fait l’objet d’une multitude d’analyses. Avec leur ambition habituelle, les éditions Playlist Society publient ce qui pourrait bien être l’ouvrage de synthèse définitif sur Buffy.
Peut-être que la réussite d’un essai se traduit de manière plus évidente lorsqu’il réussit à passionner un lecteur que son sujet n’intéressait pas a priori, et nous nous souvenons que Playlist Society a déjà réussi à nous accrocher avec des ouvrages sur des musiciens qui nous étaient indifférents, ou sur des jeux vidéos alors que nous ne pratiquons pas ce sport. Ce sera à nouveau le cas avec ce Buffy ou la révolte à coups de pieu écrit par Marion Olité, journaliste et spécialiste des séries TV.
Ce n’était pourtant pas gagné si l’on considère que nous n’avions personnellement jamais regardé un seul épisode de cette série ultra-populaire, étant en général allergiques aux séries teen comme au recyclage que nous trouvons plutôt désespérant du mythe du vampire dans les produits hollywoodiens – ou états-uniens en général. Même si la série avait bonne réputation, pourquoi se faire du mal alors qu’il y a tant de bonnes choses à regarder ? telle était notre excuse !
Depuis son succès populaire, Buffy a été l’objet de nombre d’études universitaires, aux Etats-Unis mais pas uniquement, pour interpréter ce succès, en particulier à l’aune de l’évolution de la place de la femme dans la société moderne, de son rôle, de son image et surtout de son « pouvoir », dans le sillage de la montée en force du féminisme. Par la suite, c’est le développement du mouvement LGBT+ qui a une fois encore réactualisée la vision du créateur de la série, Joss Whedon, qui, avec ses scénaristes et ses acteurs, ont créé une multitude de personnages à la sexualité « fluide », bien en avance sur ce qui semblait acceptable à l’époque pour le grand public. Plus récemment encore, et cette fois de manière plus négative, c’est la révélation – choquante si l’on considère tout ce qui précède – des comportements abusifs de Whedon, qui a obligé à se poser la question du décalage criant entre ce que professait la série et ce qui se passait effectivement sur son tournage.
Le travail – de fourmi, oserait-on dire – de Marion Olité, dans son livre, consiste à reprendre une grosse partie des analyses déjà disponibles sur Buffy, et de les illustrer par des scènes, des personnages, des situations effectivement présentes dans la série : il est alors possible, de manière tout à fait objective, de valider – et dans quelques rares cas, de réfuter – la plupart de ces « théories ». Plus intéressant encore, l’autrice utilise cette approche pour structurer et synthétiser ces théories, et en profite pour les enrichir d’une perspective totalement contemporaine – ce qui est plus que valide, étant donné la vitesse à laquelle tous ces sujets, pour la plupart réellement « brûlants », évoluent ces dernières années.
Pour des incultes comme nous, le résultat de cette somme impressionnante de travail s’avère particulièrement convaincant : on perçoit à quel point ce que Marion Olité qualifie de création de nouvelles « mythologies féminines », dans sa conclusion très éclairante, constitue un véritable tour de force, surtout en considérant la résistance potentielle que ce genre de concepts, d’images symboliques est susceptible d’engendrer. Il n’est pas certain que nous ayons pour autant envie de nous plonger rétroactivement dans les 144 épisodes répartis en 7 saisons de Buffy, mais un tel essai valide – s’il en était encore besoin – l’importance historique de l’Art populaire, dans toutes ses formes, et son impact réel sur l’évolution de la société.
Eric Debarnot