Nicolas Otéro, Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun s’associent pour nous faire percevoir les fêlures de l’homme caché derrière l’authentique héros et l’académicien comblé d’honneurs.
À l’image d’un Victor Hugo ou d’un Balzac, Joseph Kessel a tout du monstre sacré et intimidant. Il en trop fait. Du triste XXe siècle, il aura tout vu, tout vécu, tout commenté. Il nait en 1898 dans une colonie juive de la pampa argentine. Ses parents avaient fui les pogroms tsaristes, ils retourneront en Russie, avant de s’installer en France. Après avoir combattu lors de la Première guerre mondiale, le reporter et écrivain Kessel vivra les guerres civiles irlandaises et espagnoles, la montée du nazisme et la Seconde guerre mondiale, les procès de Nuremberg et Eichmann, en passant par la traite négrière en mer Rouge, la révolte kenyane, les luttes afghanes ou l’indépendance d’Israël.
Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun tirent leur scénario du dernier interview donné à un jeune filleul. Au soir de sa vie, Kessel insiste sur son enfance de Juif russe déraciné et sur la souffrance, jamais apaisée, du suicide de son frère Lazare. Il reconnait avoir le goût de l’aventure, le sens du courage et de la vertu de la parole donnée. Il entend associer amitié et force : « J’ai tout de suite su que je voulais vivre comme d’Artagnan et écrire comme Dumas ». Son épouse meurt, à 30 ans, de la tuberculose. Il semble alors fuir la mort dans la guerre. S’il ne cherche pas la mort, il la défie, l’observe à distance et témoignera de son œuvre. Le vieil homme regrette cette fascination guerrière, qui le conduisit à interrompre son voyage de noce au Kenya.
En s’éloignant de son registre habituel, Nicolas Otéro dessine son héros de manière presque photo-réaliste. S’inspirant des illustrations des journaux de l’époque, son trait est précis, sobre, privilégiant de grandes cases, très descriptives, laissant toute leur place aux confessions de Kessel. Vérane Otero, son épouse, met en couleur l’ensemble, ses aquarelles sont juste posées, en une ou deux discrètes couleurs.
Le format est malheureusement un peu court. Le lecteur ne peut qu’être fasciné par sa vie et son énergie, ses multiples talents et, surtout, la justesse des engagements. Les années filent, nous laissant, souvent, sur notre faim. Faut-il y voir une pressante invitation à se plonger dans la monumentale biographie d’Yves Courrières, qui, souvent, m’aguicha en devanture de librairie ? Laissons Joseph Kessel conclure : « L’humanité ne vaut pas cher mais je l’aime et, quoi qu’il arrive, j’aime la vie. »
Stéphane de Boysson