Le nouvel album de The Silencers, après des années de silence discographique, nous renvoie de manière magique à l’enthousiasme de A Letter From Saint Paul, leur premier. Banale nostalgie ? Non, pas du tout, mais une foi sincère en la pérennité de la jeunesse et en la nécessité de l’optimisme face à un avenir incertain.
Souvenir : on est en 1987, la new wave qui a régné sans partage sur les charts commence à refluer, à perdre de sa créativité et de son élan. Mais à Glasgow, l’une des capitales de la musique britannique, de nouveaux bons groupes continuent à apparaître chaque semaine, confirmant deux choses qu’il ne faut pas oublier : 1) c’est dans l’adversité que l’Art est le plus fécond, et la dure vie du prolétariat dans cette capitale économiquement sinistrée débouche sur une formidable utilisation de la musique comme exutoire – 2) les Ecossais, comme les Irlandais, ont un talent fou pour transcender leurs racines celtes en regardant de l’autre côté de l’Atlantique, vers le blues et vers la soul, et c’est même ce qui les distingue le plus de leurs voisins anglais. C’est en 1987 que The Silencers touchent le jackpot en sortant Painted Moon, tube imparable, qui rajoute par dessus ce mélange folk-blues une inspiration pop irrépressible. Et ce doigt de lyrisme qu’on aimait à l’époque, et qui avait amené U2 et Simple Minds aux sommets des charts planétaires.
Plus discrets que la bande à Jim Kerr, The Silencers restent du bon côté de la ligne qui sépare le lyrisme de l’emphase, de bon goût du mauvais. Donc Painted Moon nous touche au cœur, et devient une sorte de scie qui nous phagocyte les neurones, irrésistiblement. Sur scène, à Paris, on verra The Silencers ouvrir pour les Pretenders au Zénith le 10 avril, puis en juillet 89 pour Simple Minds à Bercy : la simplicité du groupe et l’efficacité des chansons fera mouche. Malheureusement, The Silencers ne connaîtront par la suite qu’un succès d’estime, et disparaitront peu à peu derrière d’autres vagues musicales…
… Jusqu’à 2023, année où Jimme O’Neill, qui s’est maintenant installé en France, en Bretagne (racines celtes obligent) décide de relancer la machine : il a compris que, avec le revival de ce qu’on qualifie désormais de « post-punk », la musique des années 80 est redevenue totalement pertinente. Et que l’assemblage musical folk/blues/pop sonne tout sauf daté. D’ailleurs, réécoutez Painted Moon si vous voulez en avoir la preuve : la chanson reste incontournable, provoquant toujours en nous cette euphorie si particulière qui était sa marque à l’époque. Entouré cette fois de sa famille – Aura, sa fille, qui chante sur deux titres (Silent Highway, Onmamind), James et Connor, ses fils – et de ses amis proches – Baptiste Brondy – batteur de Delgrès, qui co-produit le disque -, Jimme s’est donc lancé dans un dixième album de The Silencers : Silent Highway, enregistré à Nantes et mixé à Glasgow, ce qui est symbolique du lien émotionnel pour Jimme entre la Bretagne et l’Ecosse, est volontairement proche stylistiquement de A Letter From Saint-Paul, son premier opus. Et d’ailleurs, 67 Overdrive, le titre d’ouverture, dégage la même joie communicative que Painted Moon… en dépit d’un texte pour le moins sombre, quasiment apocalyptique : » Dark weather sky like black leather / Scary undertones from the Winter zone / The sun is in the heavens turned up to eleven... » (Un ciel sombre comme du cuir noir / Des tonalités effrayantes de la zone hiver / Le soleil est dans le ciel, réglé sur onze). Un titre qui nous rappelle en quelques mesures ce qu’est la musique de The Silencers.
Western Swing continue dans le même registre enlevé et mélodique, country song à la fois ironique et joyeuse qui revisite la mythologie du Far West. Whistleblower recentre l’album sur les racines Blues si importantes pour Jimme, qui aime à rappeler combien il a aimé les Black Keys quand il les a découvert : encore une réussite, de par son immédiateté et sa capacité à susciter un enthousiasme immédiat, cette célébration des lanceurs d’alerte dans un monde de plus en plus périlleux est l’un des sommets de l’album. Après une telle triplette de titres, la suite du disque est plus variée en termes d’atmosphères, moins « in your face » : parfois mélancolique (On High, planant ; Windswept Girl, romantique en diable, Whats Inna Name ), à d’autres moments franchement positif ou festif (Sunnyside, rock plus US que nature ; Rabbit, gigue country and western qui s’envole avec des accents new wave millésimés, Bringing Up The Young, heavy rock excitant), l’album n’est toutefois jamais meilleur que lorsqu’il assume le lyrisme inhérent à ses racines celtes (Silent Highway, autre sommet… ). Jimme déploie donc ici toute la palette de son talent de compositeur et de musicien. Si sa voix trahit parfois le passage du temps, l’exubérance très frontale de sa musique reste la même, et Silent Highway a tout d’un album intemporel… ce qui était exactement le projet de cette réapparition de The Silencers.
Le disque se referme sur une Torchsong élégiaque, et pleine d’espoir en un avenir qui se rit du temps passé. Pas nostalgiques pour un sou en dépit de ce retour à des racines eighties, Jimme O’Neill et The Silencers nous rassurent avec leurs questions finales : « Are we flying? Are we falling? Are we fighting? Are we loving? » (Sommes-nous en train de voler ? Sommes-nous en train de tomber ? Est-ce que nous nous battons ? Est-ce que nous aimons ?).
Tout cela à la fois, Jimme, tout cela à la fois !
Eric Debarnot