Pour son second album, la jeune et talentueuse Paulina Spucches propose une vie des sœurs Brontë centrée sur le personnage d’Ann, la moins connue des trois.
Vicaire de Haworth, dans le Yorkshire, le révérend anglican Patrick Brontë élève, avec l’aide de sa seule belle-sœur, ses six jeunes enfants. Placées dans un sinistre internat, les aînées sont emportées par la tuberculose. Dès lors, et le plus longtemps possible, le veuf conservera Charlotte, Emily, Anne et Branwell à ses côtés. Bien stimulés par leur père, les enfants multiplient les jeux d’écriture. Ils produisent aussi bien des poèmes et des articles de journaux, que des nouvelles et des pièces de théâtre. Ensemble, ils créent, de toutes pièces, les royaumes de Glass Town et de Gondal. Prenant rapidement confiance en leurs talents, ils développent un fabuleux imaginaire.
Dans la présentation de leur vie quotidienne au presbytère, que ce soit par un simple regard, un geste posé ou un travail en commun, Paulina Spucches parvient à mettre de très belles images sur l’amitié et la complicité qui unit cette singulière fratrie. Sous nos yeux, ils s’encouragent et s’écoutent mutuellement, lisant et amendant leurs créations.
Pour avoir séjourné à Haworth, Paulina Spucches a été émerveillée par la force et la beauté de la nature. Sa palette est fauve. Ses couleurs sont aussi vives que le tempérament de ses héroïnes est flamboyant. Travaillant sa gouache en couleur directe, elle s’autorise des plongées dans leur imaginaire, nous y croisons de somptueux oiseaux bleus, d’amicaux fantômes et, surtout, des jeunes femmes fortes.
Les années ont passé. Dans cette première moitié du XIXe siècle, les jeunes filles pauvres n’ont le choix qu’entre un mariage précoce ou une place de gouvernante, dans une famille plus fortunée, ou, plus simplement encore, d’institutrice. Triste époque. Tandis que Branwell sombre dans l’alcool et les opiacés, ses sœurs osent alors l’impensable. Dans l’espoir de gagner leur vie, afin de vivre libre, elles parviennent à faire publier leurs poèmes et leurs romans sous des identités masculines. Alors qu’ils présentent des portraits de femmes courageuses qui, confrontées à des situations dramatiques, osent briser quelques tabous de la très patriarcale société victorienne, leurs ouvrages font scandale. N’incitent-ils pas, implicitement, les femmes à se soustraire à leurs devoirs d’épouse ?
Charlotte, Emily et Anne Brontë seront, hélas, rapidement rattrapées par la tuberculose, mais leurs écrits leurs survivront. Aujourd’hui encore, d’innombrables femmes se retrouvent dans leurs œuvres, reprenant le combat initié, jadis, par les trois jeunes sœurs du comté du Yorkshire.
Stéphane de Boysson