Après un passage remarqué à la Maroquinerie et une quasi-résidence à Binic, Cash Savage and The Last Drinks nous rendaient à nouveau visite : une nouvelle occasion de célébrer un groupe hors du commun et une compositrice qui s’approche des sommets.
Effervescence à Petit Bain ce soir : tout ce que la capitale compte de fans de rock australien – rappelons que l’Australie est depuis plusieurs années l’un des épicentres mondiaux de la créativité musicale – se presse pour savourer un nouveau concert de Cash Savage – icone « LGBT+ down under », mais surtout compositrice talentueuse et performer intense – appuyée par son groupe fantastique, The Last Drinks.
19h40 : Pour ouvrir la soirée, on a fait appel une légende locale (en Australie, entendons-nous bien) : Kim Salmon, que l’on qualifie là-bas d’inventeur du « grunge », mais qui n’a pas laissé le même souvenir impérissable chez nous, en dépit des nombreux groupes qu’il a plus ou moins dirigés (Beasts of Bourbon, The Scientists, The Surrealists…). Il est accompagné cette fois d’un trio hétéroclite et pas toujours très en place, qu’il a baptisé Smoked Salmon, et dont les trois membres ont un prénom commençant par « d », ce qui l’amuse beaucoup. Pour nous, Parisiens, on remarque surtout la présence à la basse de Delphine, une Française, qui se trouve en plus être l’épouse de Warren Ellis : ce n’est pas anodin car le génial Warren pointera son nez et son violon sur scène (au départ, sans son archet !), pour accompagner son pote Kim sur deux morceaux. Warren nous racontera que Kim et lui ont joué ensemble quand ils étaient jeunes… Le monde est petit !
L’apparition de Warren Ellis, un dieu vivant pour 90% des spectateurs présents à Petit Bain, sera – malheureusement – l’apothéose de cinquante-cinq minutes d’un set bien décevant, pas à la hauteur de la légende de Salmon. Musicalement, nous avons eu l’impression d’être plus du côté de Paul Westerberg et ses Replacements – ce qui est un énorme compliment de notre part – que du grunge, mais l’interprétation en général a été largement déficiente, avec un groupe – plus que probablement monté pour l’occasion – manquant de cohésion et un Kim Salmon souvent à côté de la plaque du point de vue vocal et même guitare (souvent mal accordée, nous a-t-il semblé…). Dommage !
21h00 : Il va en être tout autrement, bien sûr, avec The Last Drinks, groupe absolument remarquable tant du point de vue technique qu’énergie dégagée… Et on peut rajouter « enthousiasme » car en les regardant, impossible de ne pas être saisi par la joie de jouer qu’ils dégagent : The Last Drinks, qui jouent à six ce soir et non sept, c’est quelque chose entre le Arcade Fire des débuts et les Bad Seeds de Nick Cave de la période la plus rock du groupe, c’est dire !
Par là-dessus, Cash Savage, même si elle n’est pas « une grande voix » à proprement parler, met une intensité magnifique dans son interprétation de chansons toutes très personnelles, très habitées. Si, au départ, la filiation avec Nick Cave nous semblait une évidence, c’est plus une Patti Smith qui vient à l’esprit comme référence, et ce d’autant que les deux guitares tranchantes qui conduisent le bal peuvent rappeler celles du Patti Smith Group des trois premiers albums. Et, ce qui ne gâchera évidemment rien, le son est absolument parfait ce soir à Petit Bain, même lorsque l’on est placé au premier rang, chaque instrument étant parfaitement audible, même dans les moments les plus puissants.
Par rapport à d’autres sets de Cash Savage, l’accent est plus mis sur l’aspect émotionnel des chansons (neuf sur quatorze morceaux de la setlist sont extraits de So This Is Love, le dernier et excellent album), et les fans de rock dur et intense devront attendre une bonne heure et l’enchaînement des deux brûlots les plus célèbres du groupe, Push et Rat-A-Tat-Tat pour une véritable bonne suée. Mais avant ça, que de moments bouleversants ! Seahorse, interprété en trio, avec le violon de Kat Mear en pole position, reste le sommet, mais les interprétations de Hold On et Every Day Is The Same – chanson terrible sur la dépression, « et pas seulement sur le Covid », nous précise Cash… – seront également inoubliables.
Pas de rappel, car « ils détestent ça », mais on finira avec Fun in the Sun (qu’ils ont failli ne pas pouvoir jouer, du fait de l’approche du couvre-feu), fête extatique, rageuse et paradoxale à propos du dérèglement climatique. Une heure vingt-cinq minutes de belle générosité, de la part d’une artiste et de son groupe qui mettent de plus en plus en avant les chansons réellement superbes de Cash, pas loin désormais d’être une grande songwriter.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
Cash Savage & The Last Drinks – So This Is Love : “I’m doing my best to be unlovable”