En dépit de la révélation Lily Gladstone, Killers of the Flower Moon manque du souffle qui en aurait fait un Scorsese majeur.
Killers of the flower moon est l’occasion de reposer une question cinéphile qui fâche : le cinéma de Scorsese perd-t-il en singularité artistique lorsqu’il renonce à la virtuosité ? Au lendemain du chef d’œuvre électrique Casino, Scorsese a globalement choisi la voie d’un cinéma assagi. Puisque les Stones et le cinéaste qui a le mieux utilisé leur travail sur grand écran reviennent la même semaine, Scorsese pourrait être crédité de ne pas chercher à rejouer ad vitam eternam ses années excitées. Sauf que… Le Loup de Wall Street a prouvé que Scorsese et sa géniale monteuse Thelma Schoonmaker étaient capables de rejouer les doigts dans le nez le maelström audiovisuel de la période Les Affranchis/Casino. Et de mettre par la même occasion K.O. les jeunes aspirants Marty d’Amérique et du matin calme.
Au début du film, Ernest Burkhardt (Leonardo DiCaprio) revient de la Première Guerre Mondiale. Son oncle William Hale (Robert De Niro) lui propose de venir travailler à Fairfax en Oklahoma. A Fairfax, la tribu indienne des Osage s’est installée sans le savoir sur une zone pétrolifère. Elle vit dans l’opulence et les réserves ne peuvent s’obtenir que par héritage. La situation suscite la convoitise de prospecteurs blancs. Ernest et l’Osage Molly Burkhardt (Lily Gladstone) vont tomber amoureux. Hale va alors suggérer à Ernest d’épouser Molly par intérêt.
A la manière de La Porte du Paradis et de certaines séries HBO, il est question de reprendre un moment-clé de l’histoire de l’Amérique et d’en offrir une relecture critique. Et de raconter que capitalisme prédateur, violence et racisme étaient présents à la source de l’Amérique moderne. Dans une inversion très Nouvel Hollywood et pourtant reprise d’une histoire vraie, c’est la minorité ethnique qui se retrouve détentrice du pouvoir financier… et menacée en succombant aux sirènes consuméristes (les excès liés à l’alcool et à un certain hédonisme). Et les personnages blancs qui convoitent l’argent de la minorité. Du côté d’Ernest et de Molly, le mélange d’amour sincère et de manipulation est dès le départ voué à la tragédie.
La manière dont le scénario installe les rapports entre les personnages et l’intrigue policière par petites touches est à mettre au crédit du film. De même, il est assez rare de voir une superproduction hollywoodienne passer autant de temps à évoquer les particularismes culturels des Indiens. Le savoir-faire de Schoonmaker fait que les 3 heures 26 minutes du film passent sans regarder la montre. Robbie Robertson pond un excellent score mis (trop ?) en retrait par le mixage.
En salopard intégral, De Niro excelle dans un rôle digne de ses états de service, ce qui fut loin d’être souvent le cas ces derniers temps. L’interprétation de Lily Gladstone, déjà présente dans les réussis Certaines Femmes et First Cow, pourrait lui offrir un bel avenir à Hollywood. DiCaprio est hélas l’élément le plus décevant du trio. En incarnant tout en grimaces une figure d’idiot du village, il offre le genre de « performance » aussi pénible au visionnage que susceptible de glaner une statuette.
Photographie et mise en scène sont loin d’être mauvaises. Elles ressemblent simplement à de la bonne facture technique vue du côté de HBO. Seuls quelques moments -l’arrivée en gare par exemple- rappellent qui est derrière la caméra. Sur des thématiques proches, un Cimino était à la fois capable de folie et de fidélité à l’héritage de Ford.
Ceci dit, l’impression d’ensemble était positive et le verre à moitié plein… jusqu’aux dernières minutes du film.
Un film pas dénué de qualités s’achève donc sur une note amère. Mais Scorsese a de toute façon suffisamment accompli pour ne pas lui en tenir rigueur.
Ordell Robbie.
Killers of the flower moon
Film américain de Martin Scorsese
Avec : Leonardo DiCaprio, Lily Gladstone, Robert De Niro…
Genre : Thriller, Drame, Historique
Durée : 3h 26min
Date de sortie en salles : 18 octobre 2023