Double release party et double dose de noise au programme avec It It Anita et The Guru Guru à Petit Bain. Le poing fermé, les coudes qui cognent, mais le sourire aux lèvres et l’amour du bruit en étendard.
A l’approche de la sortie de son troisième album vendredi prochain, The Guru Guru commence à se creuser une sérieuse place sur la scène belge des agitateurs de décibels où It It Anita siège déjà depuis près de dix ans. Jeudi soir, ils signaient tous deux l’un des co-plateaux les plus fameux de l’année à Petit Bain.
« Bigarrée », le mot est faible pour décrire l’œuvre de The Guru Guru, et c’est en live qu’il faut venir se frotter au monde bruyant et fantaisiste du quintet. Tom Adriaenssens, le chanteur, monte sur scène vêtu d’un pyjama, pantoufles aux pieds et sourire crédule au visage. Il sautille, court, tourne sur lui-même, se hisse un instant sur sa caisse lumineuse pour scruter son public et retourne s’accroupir en fond de scène.
Sous ses mimiques et ce petit manège se cache toutefois une attaque féroce, aussi bien vocale qu’instrumentale. The Guru Guru se frotte à différentes esthétiques, change de timbre de voix comme de registre et nous embarquent sur une piste à l’adhérence optimale, où provocations et courbettes se cèdent la place tour-à-tour.
Le seul In 2073 (plenty of other fish in the sea) suffit à brouiller toute prédiction de la direction qu’emprunte le groupe. Des couplets quasi-scandés avec un drôle d’accent, encadrés par de jolis chœurs mielleux entonnés par les guitaristes, et des riffs tantôts cristallins, tantôt véhéments ; en bref, un savant melting-pot que le quintet se plaît à distordre sans cesse. A bord de ce grand-huit des orientations musicales, le bruit demeure maître-mot, jonglant entre l’escalade explosive de Skidoo et la frénésie montée en dents de scie d’Origamiwise, en passant par la surprenante déferlante émotionnelle de Joke’s on you (under over), à découvrir sur le nouvel album.
Le concert de The Guru Guru n’était pas un échauffement. Le quintet a complètement embrasé l’espace, remettant entre les mains de leurs comparses des braises déjà bouillantes et prêtes à s’enflammer pour de bon. On l’aura compris, tous les compteurs pointent au maximum ce soir, celui des décibels, de la température et du niveau sur scène. It It Anita prend donc le relais, et fait vite valser les potentiels doutes que l’on pouvait avoir concernant l’avenir du quatuor devenu trio après le départ d’un des guitaristes et fondateurs, Damien Aresta. Leurs derniers morceaux, taillés directement dans la chair du noise envoient au diable toute crainte d’un déclin. Mieux, le power-trio met les bouchées doubles sur scène, en formation désormais triangulaire et dévastatrice.
Il démarre en trombe avec Sermonizer, et fait vite connaître le potentiel des nouveaux titres de Mouche, cinquième album du groupe (et golden retriever du bassiste). En dépit de l’absence de retours dans ses oreilles sur les premiers morceaux, Eliott Stassen cingle sa basse et s’époumonne avec virulence sur Disgrace, et c’est donc bien naturellement qu’un changement de wedge plus tard, la puissance monte encore d’un cran.
En face d’Eliott, la guitare de Michael Goffard est désormais seule en poste mais toujours étourdissante, tandis que le jeu musclé de Bryan Hayart (tout rapprochement établi avec le tour de bras de celui-ci sera fortuit) confine la salle dans une atmosphère oppressante, où les corps épanchent leur soif de transe jusqu’à ne plus tenir debout. Don’t Bend (My Friend) nous fait taper du pied à l’unanimité, par amour du bruit et par contestation : « it’s not about music, it’s about pre-sales », à crier haut et fort en concert et au-delà. Le trio n’accorde que peu de temps morts (personne n’est là pour ça), mais bascule parfois sur le terrain du psychédélisme, forcément hypnotisant mais toujours bruyant, en témoigne la force centrifuge d’Ode to William Blake.
Ni le public, ni le groupe ne fatiguent une seule seconde, les verres et la sueur pleuvent à chaque coup asséné par le duo vocal des deux gratteux, et ce jusqu’à une dernière célébration, fervente et passionnée du trio liégeois : « IT IT, ANITA » crie-t-on dans le public comme dans un stade, alors que ce dernier achève son set avec la même énergie brute et intarissable qui l’aura habité tout au long de la soirée.
Texte : Marion des Forts
Photos : Robert Gil