Après son fabuleux Dieu vagabond, on peut dire qu’il était attendu au tournant, Fabrizio Dori. Cette fausse suite confirme que le virage a été franchi, sans toutefois être totalement contrôlé. Si l’on reste ébloui par le dessin, toujours splendide, on ressort un peu moins convaincu par la narration.
Mauvaise nouvelle pour Eustis ! Le satyre vagabond, faute d’avoir pu rejoindre les siens, est revenu dans le monde des mortels où il s’ennuie à mourir. Mais bientôt, un événement va le tirer de sa torpeur. Séléné a décidé de lui confier son enfant, fruit de ses amours avec Hadès, pour l’aider à trouver sa « spécialité » divine. Eustis, qui ne l’entend pas de cette oreille, va se mettre en quête d’un dieu supérieur pour le délester de sa mission de précepteur. Mais la tâche s’avère compliquée, alors que sa tête a été mise à prix par bon nombre de dieux…
De manière très légitime, Fabrizio Dori a tenté ici de réitérer le coup de maître qu’était Le Dieu vagabond. La première question que l’on se posait était donc de savoir si Le Fils de Pan allait être du même niveau. Le pari était risqué, et l’on sait que les suites dépassent ou même égalent très peu souvent l’original.
D’un point de vue graphique tout d’abord, l’enchantement reste de mise. Dori le prouve une fois encore, il sait nous faire rêver par sa folle créativité qui place son dernier opus au rang de livre d’art. Certes, l’effet de surprise s’est amoindri dans la mesure où Le Fils de Pan est un peu un copier-coller de son prédécesseur, mais un magnifique copier-coller ! L’artiste italien fait preuve d’un talent inégalé par l’étendue de sa palette stylistique, où l’on retrouve l’influence des grands courants de la peinture, principalement des XIXe et XXe siècles, de l’impressionnisme au pop-art. Cela confère à l’objet un côté mosaïque qui passe très bien ici, tant l’émerveillement joue à plein. Fabrizio Dori est d’abord un peintre avant d’être un bédéiste, et s’il semble moins à l’aise dans la représentation de personnages, ses sublimes représentations s’apparentent à de petits tableaux célébrant la beauté et la nature, où s’épanouissent les couleurs, accompagnés d’une poésie sensible qui rend hommage à une mythologie éclipsée par notre monde moderne.
Pour ce qui est de la partie narrative, on pourra toutefois s’avouer un brin désappointé. L’idée de départ, celle consistant à faire jouer à Eustis, avec qui on avait fait connaissance dans Le Dieu vagabond, le rôle de baby-sitter de la progéniture du dieu Pan, est pour le moins originale. Car on l’apprend au début de l’histoire, notre satyre n’a pas réussi à retrouver les siens contrairement à ce que laissait croire la conclusion du dernier volet. Il va donc continuer à errer dans le monde terrestre des humains déshumanisés. C’est ainsi que le fils de Pan (qui n’a pas de nom…) va être catapulté sur Terre par sa mère Séléné, le but étant de lui faire mieux appréhender sa place « dans l’ordre des choses » sous la tutelle d’Eustis, à son corps défendant. Les deux personnages vont vivre alors une aventure empreinte d’un onirisme puissant au beau milieu d’un monde rationnel transformé par l’Homme en enfer de froideur techno-consumériste, incarné par le personnage un rien caricatural de Zoé, fille du Professeur que l’on retrouve également dans cette suite.
Malgré le désir de bien faire, que l’on sent sincère chez son auteur, force est de constater que le récit s’égare dans moult circonvolutions qui finissent par brouiller la finalité du propos. De plus, l’objet comporte 80 pages supplémentaires, ce qui ne contribue guère à son intelligibilité.
On regrette par ailleurs l’absence d’éléments marquants, d’images vraiment fortes ou de coups de théâtre qui auraient permis de prolonger l’émerveillement de façon durable, même si l’on reste réceptif au message épicurien de Dori, à son invitation au rêve et à envisager le monde au-delà de sa brute réalité. De même, la grande érudition de ce dernier en matière de mythologie n’est plus à prouver, mais là encore, un petit lexique en fin d’ouvrage aurait peut-être été pertinent.
Tout cela ne remet pas en cause l’admiration que l’on peut éprouver pour l’artiste qu’est Fabrizio Dori, et les Éditions Sarbacane ne s’y sont pas trompées. Si les qualités de l’ouvrage, qui est loin d’être mauvais, résident davantage dans le dépaysement graphique qu’il procure, la narration aurait mérité une plus grande rigueur structurelle. En effet, l’œuvre originelle qui nous avait tant bluffés semblait moins pâtir de cette faiblesse.
Laurent Proudhon