Décidément encore fâché avec le concept d’album live, Bowie publie encore une fois en 1978 une illustration peu engageante de sa tournée Isolar II, Stage. Mais que s’est-il donc passé ?
Encore une fois, étant donné l’importance que David Bowie revêtait encore – émotionnellement – pour moi en 1978, il me faut reconnaître que mon rapport à Stage, le second album live publié par Bowie de son vivant, est avant tout régi par beaucoup de subjectivité, et que, un demi-siècle plus tard, il m’est toujours difficile de porter un jugement objectif sur ce qui était à l’époque (il a changé depuis) un double album retranscrivant la tournée Isolar II : même si je ne le détestai pas aussi viscéralement que le funeste David Live à sa sortie, il constitua pour moi une nouvelle franche déception.
Cette déception prend sa source dans mon expérience personnelle d’un concert de la tournée. J’étais le vendredi 26 mai 1978 au Palais des Sports de Gerland, à Lyon, pour voir ENFIN mon idole absolue sur scène ! Je vécus un moment fort de ma vie d’encore jeune amateur de concerts Rock, tout en étant déjà capable de reconnaître un certain nombre de limites à cette expérience que j’aurais voulue parfaite : le concert s’avéra, à mon goût tout au moins, assez long à démarrer, la concentration requise pour apprécier les morceaux atmosphériques de Low et « Heroes » se conjuguant mal avec mon amour enflammé pour le Thin White Duke et avec l’atmosphère chaotique qui régnait dans la fosse de Gerland. Et finalement, même si je sortis de là ébloui par la beauté de Bowie, il me fallut bien admettre que j’étais loin de l’extase qu’avait provoqué chez moi au cours des mois précédents les concerts des Who, d’Iggy Pop ou surtout des Clash. Bowie m’était apparu impérial, certes, mais totalement dans une sorte de « retrait » émotionnel, qui se combinait mal avec le principe (un cliché, je sais…) de l’offrande physique du performer à son public. En deux mots : beau, oui… mais FROID.
C’est qu’en 1978, quand Bowie se lance dans une grande tournée mondiale consacrée principalement à la célébration de ses trois derniers albums, Station to Station, Low et « Heroes », il n’est plus le drogué presque pathétique de l’époque de David Live, ni même l’artiste vaguement perdu s’accrochant à sa nouvelle musique – de manière régulièrement bouleversante – de la tournée Isolar : Ziggy Stardust et ses outrances sont loin, le Thin White Duke aussi, finalement, car Bowie est devenu un « artiste reconnu », qui a repris la main sur son destin, sur sa vie et sur sa musique. Qui a repris le contrôle sur tout ce cirque qu’était devenu son existence. Qui a visiblement décidé que cette tournée serait « professionnelle ». Ce qui était, évidemment, le contraire de ce que nous, les fans, avions envie de voir et d’entendre. Bien sûr, Carlos Alomar en maître de cérémonie était impeccable, et le travail d’Adrian Belew pour traduire sur scène le travail génial de Robert Fripp à la guitare impressionnait. Le problème est que nous avons donc du prendre notre mal en patience sur un Warszawa interminable en introduction (Bowie admit plus part que tout cela était un tantinet prétentieux) ou sur un Sense of Doubt faisant retomber l’ambiance, puis subir un entracte absurde cassant le rythme du concert, avant de vibrer avant un retour un peu trop bien calibré sur Ziggy Stardust (six titres enchaînés) et sur un Station To Station comme toujours grandiose. D’où ce souvenir mitigé d’une soirée qui n’avait pas tenu toute ses promesses.
Et Stage nous rappela, quelques mois plus tard, cette petite déception, dégageant une fadeur peu engageante : comme c’est le cas avec des dizaines et des dizaines d’albums « live » dans l’histoire du Rock, nous n’avions entre les mains que des versions fidèles mais néanmoins légèrement inférieures de chansons que nous adorions dans leurs versions studio. Quel intérêt ? Pire encore, composé à partir d’enregistrements réalisés au cours de trois concerts différents aux USA (au Providence Civic Center, au Boston Garden et au Philadelphia Spectrum – on a raconté que ce dernier soir, le groupe joua les morceaux sur un tempo moins rapide pour se rapprocher des versions originales !), Stage réordonne la setlist originale des concerts selon la chronologie des albums studios : une face pour Ziggy, une pour Station to Station, une pour Low, une pour « Heroes » ! Une décision aberrante qui fausse encore plus le principe d’une interprétation live, et dépouille l’album de l’intensité qui a pu régner dans la salle à des moments donnés, et ce d’autant que Bowie et Visconti polirent radicalement le son des enregistrements pour en retirer toute la rugosité qui aurait pu subsister !
L’album se vendit très bien, mais fut systématiquement descendu en flammes par la critique – qui pour le coup, avait bien raison. Depuis, il a été réédité à plusieurs reprises, avec des titres supplémentaires, puis avec une tracklist respectueuse de l’ordre originel d’interprétation, et enfin remastérisé. Ce qui fait que la version disponible actuelle de Stage est notablement supérieure à sa médiocre version publiée en septembre 1978. Une histoire qui rappelle donc beaucoup celle du David Live, et qui confirme que, décidément, Bowie avait du mal dans les années 1970 avec le concept même de publier des albums « live ».
Eric Debarnot
La glace éteint le feu. D’une froideur extrême, Stage manque de flamme. Bizarre aussi cette modification du track listing originel sans compter le traitement lisse du son bien loin de celui des enregistrements video Dallas, Tokyo et Londres disponibles sur la toile. Un disque artificiel sans grande émotion. « Qui porte un masque finit un jour par s’étouffer » dixit Oscar Wilde. CQFD.
RCA Hollande sortit l’album en vinyl jaune et bleu…mazette marketing et collectionnite aggravée.
ON est bien d’accord, une fois encore, sur ce coup-là !