En adaptant le roman de Thomas B. Reverdy, Isao Moutte nous dévoile l’un des revers du miracle industriel japonais : le phénomène des disparus volontaires.
« Je ne mettrai plus les chaussons. » C’est par ces quelques mots griffonnés sur une simple feuille de papier, que l’épouse de Kaze apprend le départ, brutal et incompréhensible, de son mari, un homme apparemment sans histoire. Yukiko, leur fille unique installée en France, revient au pays pour tenter, si ce n’est de le retrouver, au moins de comprendre son geste.
Tiré d’un roman de Thomas B. Reverdy, le scénario d’Isao Moutte entremêle habilement les destins du sexagénaire Kaze, comptable d’un grand groupe injustement licencié, et du jeune Akainu, qui a perdu sa famille et sa maison dans le tsunami de Fukushima. Tous deux sont en danger de mort ; Kaze pour avoir découvert les graves malversations de ses employeurs ; Akainu avoir été le seul témoin d’un assassinat maffieux. Pour autant, Isao Moutte a tôt fait d’abandonner la piste prometteuse du classique thriller pour nous plonger dans les zones d’ombre de la très policée société japonaise.
Chaque année, 80 000 japonais disparaissent volontairement. Or, invoquant le respect de la liberté individuelle, la police se refuse à enquêter. Que fuient-ils ? Le phénomène est désormais bien connu. Le personnage du détective privé soulève un coin du voile. Ils fuient la pression sociale des employeurs et des yakuzas, de l’État ou de leurs familles. Qu’ils fuient un échec conjugal, un revers professionnel ou une montagne de dettes, la société ne leur concède qu’une maigre seconde chance. Leur nouvelle vie les projette fatalement dans la misère des petits boulots et des marchands de sommeil, des quartiers minables et des rackets, de la violence quotidienne et de l’isolement. La vie est dure pour les exclus, fussent-ils volontaires…
Tout de hachures et de précision, le trait semi-réaliste de Isao Moutte est fin et austère. Le Franco-Japonais excelle dans sa représentation d’une société froide et normalisée. S’il montre, il ne commente guère. Ses « évaporés » sourient peu, mais, du moins, luttent-ils encore… Du moins, pour un temps. Le combat est inégal.
Le scénario nous épargne un improbable happy-end, même si la fin reste, pour partie, ouverte. Une belle, mais triste histoire.
Stéphane de Boysson
Les Évaporés
Scénario : Isao Moutte, adaptation du roman de Thomas B. Reverdy
Dessin en noir et blanc : Isao Moutte
Éditeur : Sarbacane
160 pages, 25 €
Parution : 13 septembre 2023
Les Évaporés — Extrait :