Huit ans que John Lydon et son PiL n’étaient pas passés à Paris, d’où le plaisir de ces retrouvailles intenses, vendredi soir dans un Trianon en mode « célébration » d’un monstre sacré. Et oui, en 2023, la colère reste une énergie !
« F**k Disney, This Is PiL, and We are the Hero » est écrit sur une bannière tendue au premier balcon du Trianon : rappelons-nous donc que John Lydon n’a pas toujours été le plus aimable des hommes, que sa détestation du « système » reste radicale, et que, même si son public est désormais aussi bedonnant et grisonnant que lui, quelque chose de l’état d’esprit original du groupe (et on ne parle pas, là, des Pistols) subsiste.
On est fin octobre, donc, et en dépit du changement climatique, c’est froid et pluie sur Paris… mais la météo maussade n’a pas découragé les fans qui font la queue bien avant l’heure d’ouverture des portes du Trianon pour voir « John » de près. Et puis pour ceux qui n’étaient pas nés dans les années 80, il y a les très roboratifs Frustration en première partie !
19h20 : C’est, surprise, surprise, avec dix minutes d’avance sur l’horaire officiel que les Parisiens de Frustration montent sur scène. Ils vont nous offrir près de 55 minutes de plaisir, avec ce mélange qui les caractérise de cold wave méthodique et de poussées plus punk rock pour se dégourdir les jambes. Le son est monstrueux – fort et clair – avec en particulier cette basse sèche qui claque et fait le sel d’une musique qui, certes, n’est pas des plus originales, mais reste forte. La voix monocorde de Fabrice, pas le meilleur chanteur du monde, certes, fait le taff – Fabrice conservant son sérieux imperturbable tout au long du set -, tandis que Pat à la basse attire tous les regards avec une prestance scénique spectaculaire. Pendant ce temps-là, Nicus et Fred se marrent. Cette rencontre improbable entre la bonne ambiance sur scène et le sérieux d’une musique sombre, aux textes engagés, fait, si l’on y réfléchit bien, la différence entre Frustration et bien des groupes opérant dans ce même créneau – très encombré – du post-punk. On regrettera bien entendu que le public de PiL soit resté très sage tout au long du concert : on était loin de la furie de la Maroquinerie pour le concert des 20 ans du groupe, mais au moins, on a pu écouter la musique sans passer son temps à prendre des coups et à être écrasé par des slammers.
20h50 : C’est aussi 10 minutes plus tôt que prévu que Public Image Ltd. (PiL) – en format quatuor – débutent leur set par le puissant (et menaçant !) Penge, qui est aussi l’introduction martiale de leur dernier album, End of World. Et nous voilà en train de hurler à pleins poumons « Welcome to Penge! » avec l’ami John Lydon, installé au milieu de la scène entouré de retours et derrière un pupitre où il a posé son lutin contenant les textes des chansons (il nous le montrera en sortant, à la fin du set, et il est étiqueté « Farty Tales », soit quelque chose comme « contes de pets »!). La tenue de Lydon est délirante, comme toujours : coiffé d’une crête bien dressée sur sa tête (mais pourquoi est-ce que, à partir de là, s’est superposée dans notre esprit la tronche de Titeuf ?), il est enveloppé dans un énorme costume de clown bariolé, retenu par de grosses épingles à nourrice (épingles de kilt ou référence au symbole des punks anglais de 1977 ?), qui exagère encore son embonpoint. La voix est terrible, dans un registre bien plus grave qu’autrefois, et Lydon déclame ses textes plus qu’il ne les chante, avec une théâtralité excessive qui… fait absolument mouche ! Une excitation incontrôlable balaie la fosse du Trianon, pourtant plutôt peuplée de quinquagénaires ; si nous n’aurons pas droit à de véritables pogos ni réellement à des slams, une grande partie du public va reprendre en chœur, en braillant comme des damnés, les phrases emblématiques des chansons.
Nous ne parlerons pas du trio qui l’accompagne, clairement très compétent, et aux looks divers et variés, mais improbables – la palme revenant au guitariste avec son look « raspoutinien ». Ils se tiennent en retrait, clairement éclipsés par la présence grandiose de leur leader. On va dire qu’ils assurent le service minimum, avec l’aide de pas mal d’enregistrements en plus : on regrettera que la musique de PiL aujourd’hui soit moins basée sur les guitares, et que le son ne soit pas aussi fort qu’il aurait dû être pour pousser le set dans l’hystérie permanente.
On remarque rapidement les particularités du comportement de John : il se mouche sans… mouchoir, aspergeant abondamment la scène de ses humeurs (peut-être que le fait que la fosse du Trianon ait été équipée ce soir de crash barriers ne traduit pas une volonté de Lydon de s’éloigner de son public, mais plutôt de le protéger de ses expectorations ?) ; il se rince la bouche avec ce qui semble être un coûteux whisky japonais, qu’il recrache ensuite dans un récipient placé sur scène à cet effet. Autre particularité amusante, se tient sur la gauche de la scène un assistant chargé uniquement de porter ladite bouteille de whisky, et de veiller à ce que John soit constamment « humidifié » : comme son travail n’est pas épuisant, il passera une grande partie du concert à danser et même à accompagner les postures de son boss.
Car, de manière finalement inhabituelle, ce qui fascine le plus chez PiL sur scène, ce n’est pas le bombardement rythmique – parfois un peu systématique -, ce sont les mimiques avec lesquelles John Lydon illustre ses textes, les rend… VIVANTS ! Tour à tour clownesque, sournois, ironique, catastrophé, inquiétant, voire effrayant (… comme aux premières heures !), il est comme un acteur du cinéma muet qui cabotinerait en roue libre : BIGGER THAN LIFE ! est probablement la meilleure expression pour décrire le spectacle sidérant qu’il offre, sans quasiment ne jamais bouger de derrière son pupitre. Lydon est l’un de ces rares véritables monstres sacrés de la Musique. Et même quand certains titres s’avèrent un tantinet longs et répétitifs, impossible de s’ennuyer.
Ce que l’on ne dit pas assez, toutefois, c’est combien, entre deux grimaces et scènes bouffonnes, Lydon irradie du plaisir d’être là, de la pure joie de se trouver face à son public : il a des sourires envers nous qui sommes au premier rang qui vont droit au cœur, et il témoigne d’une réelle générosité, bien loin de la morgue vaguement stupide des débuts des Pistols. Alors, comment ne pas lui pardonner ses provocations « de droite », faux pas malheureusement courant de quelqu’un qui se veut toujours anti-système : se moquer des revendications de la jeunesse dans Being Stupid Again (« Vous avez plein d’étudiants, à Paris, non ? ») ou célébrer la défense de son territoire, ce qui peut être associé à son adhésion lunaire envers le Brexit, sur le belliqueux Warrior (« Many invade / I take no quarter / This is my land / I’ll never surrender » – Nombreux sont les envahisseurs / Je ne fais pas de quartier / Ceci est ma terre / Je ne me rendrai jamais) ne le rend pas très sympathique, c’est vrai. Pourtant, quand sur le formidable Car Chase, il nous donne envie de chanter avec lui : « I don’t get bothered, I don’t get bored, I get ignored! », nous ne pouvons nous empêcher d’apprécier cette singularité revendiquée dans un mélange d’humour et de fierté qui n’est pas si commun, après tout.
Et puis, quand, à la fin d’un set d’une heure et demie alignant comme à la parade les moments de forte intensité, Lydon nous apostrophe : « What is Anger? », comment ne pas se sentir bouleversés d’entendre tout le public du Trianon hurler en réponse, encore et encore : « Anger is an energy! » ?
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot