On pensait les Américains de The American Analog Set définitivement aux abonnés absents. 18 ans après leur mise en sommeil, ils signent avec ce retour l’un de leurs meilleurs albums. Un peu comme s’ils reprenaient les choses là où ils les avaient laissées.
Il n’y a rien de pire dans le processus créatif que la nostalgie, cette espèce de politique viciée de faire du neuf avec du vieux, cette envie de ranimer artificiellement les fièvres de sa jeunesse, quitte à paraître incongru, daté ou démodé. C’est peut-être pour cela que l’on est souvent déçus par ses réactivations de projets. Nous, on a accepté de se voir vieillir dans le miroir, nos centres d’intérêt ont évolué et changé. Ils ne sont plus les mêmes, les deuils de nos rêves perdus sont passés par là. On a accepté l’idée que le monde n’était pas à cueillir dans le creux de nos mains. On a délaissé les croyances, les grands frissons et les enthousiasmes un peu puérils. Ce que l’on a perdu en innocence, on l’a peut-être un peu gagné en apaisement.
Et puis, il y a les autres, les artistes. Ces drôles d’individus qui ne vivent pas tout à fait dans le même monde ni le même espace-temps que nous. Les Américains d’Austin de The American Analog Set pensaient avoir tout dit en 2005 avec Set Free, leur album en forme de chant du cygne. Pourtant dans l’univers (trop) balisé du Post-Rock, le groupe proposait une autre voie, celle d’une Post-Pop à la charnière de l’emocore, du slowcore et des musiques instrumentales. For Forever, même s’il rumine les sonorités d’un son nineties, ne saurait être limité à un exercice de style daté et passéiste. Par le passé, le groupe était souvent le plus pertinent dans la concision de chansons Pop. The American Analog Set semblent avoir retenu la leçon avec un disque faisant la part belle à des titres plus ramassés. On pensera souvent aux travaux des frères Kadane, Bedhead et The New Year sauf que le slowcore de For Forever sonne bien plus pop. Il y a ici une véritable volonté rythmique, presque funky.
Là où le courant emocore nous terrassait avec ses oraisons funèbres, ses aspirations sépulcrales, The American Analog Set chargent leurs compositions d’un élan vital, d’une force pulsatile irrésistible. On pensera souvent à la rugosité des trop méconnus Early Day Miners, en particulier leur chef d’œuvre Let Us Garlands Bring (2002). Chez The American Analog Set, pas de mélancolie nombriliste un peu factice à la manière de Cigarettes After Sex. On est plus proches ici de Chokebore ou de Mount Eerie que de pleurnichards un peu coincés dans leur adolescence.
The American Analog Set pourraient être l’exact contraire de Spokane, le défunt projet de Rick Alverson désormais aux commandes de The Lean Year. Spokane déclinaient une mélancolie sourde dans des mélodies sourdes et atones, crépusculaires et horizontales quand leurs voisins d’Austin tendent vers une forme de transcendance, vers une élévation, pour preuve la lente élaboration qu’est la chanson titre de l’album, à mi-chemin entre une Americana sans frontières et un post-rock osseux. Toutefois, For Forever est un disque multipolaire, aux climats parfois antagonistes, les instants plus lumineux évoquent bien plus le My Morning Jacket période Evil Urges (2008) que d’obscures complaintes lentes.
Pour autant, on ne se refait pas. Donner pour titre le nom de Mick Turner a à lui seul valeur de manifeste. Choisir le nom d’un des membres de Dirty Three pour une des compositions ne relève pas seulement de l’hommage mais aussi d’une volonté de parenté, de filiation. Sans rien renier de leur passé, en ne jetant rien aux oubliettes, en respectant leurs disques précédents, The American Analog Set se réinventent tranquillement, et acceptent de se voir vieillir.
Greg Bod