Quel beau cadeau que celui que Lloyd Cole a offert à ses fans français hier soir au Trianon ! Deux heures dix de musique, pour revisiter la totalité de sa longue carrière, tout en regardant toujours aussi positivement vers l’avant. Un set généreux, parfaitement maîtrisé techniquement, à la hauteur de la réputation de Lloyd !
Lloyd Cole souffre d’un cas de malédiction pas si courant : son problème n’est pas que son premier album, Rattlesnakes, sorti en 1984, soit son meilleur, car un premier album indépassable est le fardeau de nombreux artistes. Non, le drame est que c’est un album tellement bon qu’il a été rapidement classé comme l’un des disques essentiels des années 80, une sorte de référence absolue de l’indie rock encore naissant dans la vague « after punk ». Lloyd a donc passé la majeure partie de sa longue carrière à courir derrière ce disque maudit, qu’il n’a évidemment jamais rattrapé. Il a été particulièrement obstiné, d’ailleurs, ce qui nous a valu un long chapelet d’excellentes chansons au fil des années, mais aussi une certaine lassitude : car fondamentalement, Lloyd Cole, avec ou sans son groupe séminal, The Commotions, c’était quand même toujours un peu pareil, non ?
Et puis, quelque chose d’inattendu est arrivé, voici quelques années : la rencontre de Lloyd avec la musique électronique ! S’en est suivi un changement de cap, mais surtout un net regain d’inspiration, visible sur son dernier album, On Pain, qui évoquerait plutôt Peter Gabriel que Rattlesnakes. Et c’est très bien comme ça !
Du coup, nous nous sommes précipités au Trianon ce samedi afin de voir ce que ce virage allait donner sur scène… Pour découvrir que la salle était remplie de gens – logiquement – nostalgiques des années 80, appâtés par le fait que Lloyd tournait pour la première fois depuis une éternité en format « électrique », et avec deux membres des Commotions, le génial Neil Clark à la guitare et Blair Cowan aux claviers. Tant pis pour notre soif d’un Lloyd Cole « reborn », nous allions visiblement avoir droit à une revisite exhaustive de toute l’histoire, via deux sets annoncés, le premier, acoustique, et le second, électrique !
20h : Tout le monde s’attend à un set solo, et c’est en effet seul avec sa guitare acoustique que Lloyd débarque, très classe, tout de blanc vêtu, sobre, sympathique et drôle comme toujours (qui plus est, faisant l’effort de parler la plupart du temps en français) : il attaque par Don’t Look Back, extrait de son premier album solo, ce qui ne manque pas d’ironie, puisque c’est bien de regarder en arrière dont il va s’agir, ce soir. Mais, surprise, Lloyd va progressivement être rejoint sur scène par ses trois musiciens, dont une batteuse blonde et souriante, Signy Jakobsdottir. On n’est plus certain de ce que Lloyd entendait par « set acoustique », même si, en effet, en dépit du format « full band », les titres de cette première partie seront interprétés avec une certaine sobriété. La setlist de ces 45 premières minutes fait plutôt dans la nostalgie, avec une seule exception, l’interprétation de l’excellent On Pain, du dernier album. On notera un petit problème de micro au début du set, vite résolu, mais sinon, tout est absolument impeccable, on est dans la maîtrise totale, et rien ne viendra gâcher le plaisir de cette soirée offerte comme un cadeau rare à un Trianon rempli de fans passionnés. Lloyd n’est pas avare de petits commentaires sur ses chansons, comme lorsqu’il qualifie le magnifique 2 CV de chanson londonienne en introduisant Undressed comme une chanson new-yorkaise : à la fin de Undressed, il nous rassurera d’ailleurs en rappelant qu’il parlait de lui-même, nu, en 1989, pas aujourd’hui ! Le final de cette première partie (« On revient ensuite pour le vrai concert, et ça va secouer ! », nous promet-il) est le merveilleux Are You Ready To Be Heartbroken?, toujours aussi magique…
21h05 : on a donc attendu vingt minutes pour voir revenir les mêmes musiciens, avec une seule différence : Lloyd est maintenant à la basse, un instrument qui semble aujourd’hui être son favori, quand on voit le plaisir manifeste avec lequel il en joue. Evidemment, la sonorité générale du groupe change, d’autant que les claviers vont devenir plus prépondérants sur les morceaux récents, mais c’est finalement plus la volonté de jouer plus fort, plus « rock » qui rend les choses différentes, moins retenues, plus excitantes.
Le set de 1h15 inclura pas mal de chansons récentes, traduisant mieux la nouvelle orientation musicale de Lloyd, même si seul le fantastique Wolves abordera franchement ses tentations « prog rock » actuelles. Inutile de dire que, pour nous, le très long Wolves sera le moment le plus fort de la soirée, en attendant l’inévitable paroxysme final de Forest Fire.
Tout au long du set, le travail de Neil Clark à la guitare électrique sera époustouflant, confirmant que ce guitariste discret n’a pas usurpé sa réputation. Les anecdotes de Lloyd continueront aussi à « humaniser » le concert, qui s’apparente plus à une soirée entre amis qu’à une représentation traditionnelle. C’est ainsi que Lloyd nous racontera les déboires de l’un de ses albums, descendu par Nick Kent dans les Inrocks (« on dirait du mauvais Duran Duran » aurait été le verdict de la revue…), ou, après le beau Myrtle and Rose, nous expliquera, pince-sans-rire : « C’est un titre que ma mère a aimé : il m’aura fallu 30 ans pour écrire une chanson qu’elle aime ! ».
A la fin, Forest Fire est sublime, avec ce solo de guitare colossal, et nous fait regretter que Lloyd ne nous ait pas offert la version longue de la chanson… Rappel de deux titres plus calmes pour terminer dans la douceur et se quitter gentiment : 2h10 de concert, il n’y a vraiment rien à redire en termes de générosité, Lloyd a fait le taf ce soir, et ce concert aura certainement été l’un des meilleurs qu’il nous ait offerts depuis ses débuts, il y a quarante ans déjà.
Texte et photos : Eric Debarnot
Lloyd Cole – On Pain : l’électronique comme nouvelle aventure