Peu remarquée en France, la série Only Murders in the Building est pourtant un régal de comédie policière totalement vieux-jeu (« old fashioned ») qui évoque dans ses meilleurs moments certains films de Woody Allen du siècle dernier, dont elle pourrait bien être inspirée…
1993 : Woody Allen, encore loin d’être « cancelled » (on dit ça pour les plus jeunes qui auront du mal à imaginer cette époque où chacun de ses films était attendu par tout ce que la planète comprenait de cinéphiles), sort Manhattan Murder Mystery, une comédie policière qui fut un joli succès : l’on y suivait l’enquête d’un couple de New-Yorkais, mâtures et bien établis, qui s’ennuient dans leur vie quotidienne routinière et qui soupçonnent qu’un meurtre a eu lieu dans leur immeuble. Dès le début de la première saison de Only Murders in the Building, il est clair que ce film est le modèle (ou l’un des modèles tout au moins) de la série de John Hoffman et Steve Martin : nous faisons la connaissance, à l’occasion de la découverte d’un cadavre dans l’Arconia, un immeuble du richissime Upper West Side de Manhattan, de trois personnages aussi disparates que farfelus. Steve Martin joue le rôle de Charles-Harden Savage, ancien acteur populaire d’une série TV policière clairement démodée : célibataire endurci mais malheureux, imbu de sa personne, il sera le premier moteur du trio qui va se lancer dans une enquête plus ou moins sérieuse, considérant que la police new-yorkaise n’a pas correctement fait son boulot. Martin Short est le flamboyant Oliver Putnam, ex-metteur en scène de Broadway ayant sombré dans l’enfer des bannis du fait d’un désastre ayant coûté la vie à des acteurs sur l’un de ses plateaux : cabotin, il vit dans la misère alors qu’il est encore résident de cet immeuble de luxe. Enfin, Selena Gomez, l’ex-enfant-star et la chanteuse, est Mabel, qui squatte chez sa tante, et va apporter aux deux détectives amateurs vieillissants une actualisation bienvenue de leurs idées aussi bien que de leurs « méthodes ». C’est ainsi que l’enquête de nos limiers de fantaisie deviendra un podcast dont le succès changera profondément leur vie.
L’intérêt des deux premières saisons vient d’une multitude de sources : il y a d’abord la richesse des personnages principaux, qui vont développer des relations très fortes face à l’adversité (l’hostilité de la police et des autres propriétaires ou locataires de l’immeuble), sans pour autant être réellement sincères les uns vis à des autres. Le talent des trois acteurs principaux n’est jamais pris en défaut, et si, initialement, c’est Steve Martin qui nous emballe le plus, la subtile tristesse et l’empathie que dégage Selena Gomez nous touche, tandis que l’abattage de Short, qui irrite initialement, finit par porter ses fruits. Il y a ensuite une formidable galerie de personnages secondaires épatants, figurant ensemble l’égoïsme, l’arrogance et l’agressivité bien connue des New-Yorkais (encore une fois, on n’est pas loin de la vision de Woody Allen !) : l’ajout de caméos de gens célèbres dans leur propre rôle, comme Sting – hilarant en star irascible – dans la première saison, ou Matthew Broderick – qui ne craint pas se ridiculiser en « method actor » – dans la troisième, est alors une jolie cerise sur un gâteau bien riche.
Et, même si le déroulement des enquêtes est assez convenu avec une succession systématique de suspects, finalement éliminés les uns après les autres jusqu’à la révélation finale, les scénaristes de Only Murders in the Building ont eu l’intuition d’entremêler le passé des personnages principaux avec celui des victimes, d’impliquer les détectives émotionnellement dans l’histoire, de les transformer en coupables potentiels. La seconde saison reprend les mêmes schémas que la première, en ajoutant une réflexion amusante sur la compétition entre radios commerciales et podcasts amateurs, mais peut donner l’impression que le concept à la base de la série est limité (combien de meurtres différents peuvent-ils donc être commis dans un même immeuble ?).
Il fallait donc sortir de l’Arconia (qui est, il faut le noter, un immeuble réel de Manhattan, le Belnord), ce qui est chose faite dès la conclusion de la seconde saison : direction Broadway cette fois, où Oliver Putnam a enfin l’occasion de diriger une nouvelle pièce de théâtre. La mort sur scène de sa star (Paul Rudd) au cours de la soirée de la « première » sera le point de départ d’une nouvelle enquête, qui permet à Hoffman et Martin d’aérer leur série, qui devient, justement et paradoxalement, moins scolairement théâtrale dans cette nouvelle saison. La réorientation de la pièce vers une comédie musicale, hilarante pour le coup, va permettre à la saison de prendre réellement son envol, en lorgnant une fois encore vers Woody Allen, mais aussi vers Mel Brooks (qui nous fait un petit coucou en référence à son fameux les Producteurs !).
Si Paul Rudd est comme toujours sympathique, même dans un rôle d’ordure intégrale, l’un des plus grands plaisirs offerts par cette troisième saison est évidemment la présence de Meryl Streep : loin de n’être qu’un caméo, elle nous offre avec son magnifique personnage d’actrice frustrée, en situation d’échec permanent et enfin révélée sous le regard d’Oliver Putnam, les plus beaux moments d’émotion de Only Murders in the Building. Bien sûr, Meryl Streep déploie ici ses compétences bien connues, changeant avec une facilité incroyable de registre, mais également d’apparence – sans même parler de son adoption à débit rapide d’accents différents lors d’une scène d’audition ; même si elle est probablement doublée lors de l’interprétation de l’une des chansons, elle chante également avec conviction et talent sur scène ! Mais c’est plutôt l’évidence de sa magie naturelle (surnaturelle ?) qui élève même les scènes les plus convenues vers l’excellence.
On a parfois, en milieu de saison, l’impression que la série perd un peu son chemin, insistant trop sur les expériences amoureuses de nos trois héros, mais le scénario se resserre dans la dernière partie : la résolution finale de l’énigme s’avère très réussie, avec comme arrière-plan la nouvelle « première » de la pièce de théâtre remaniée en comédie musicale burlesque. Un véritable régal !
Les dernières minutes du dixième épisode, avec une nouvelle mort violente, sont les prémisses habituelles d’une prochaine saison qui, espérons-le très fort, ne sera pas « la saison de trop » de cette excellente série, finalement des plus originales dans le paysage télévisuelle actuel.
Eric Debarnot