Confirmant que le concept du Donjon Antipodes+ a du mal à convaincre, semblant très artificiellement relié au Donjon dans son ensemble, Changement de programme s’avère divertissant, mais régulièrement maladroit.
On est en droit de se demander, même si l’on comprend le désir de renouveler l’univers de leur Donjon, si les concepts à l’origine des séries Antipodes- et Antipodes+ imaginés par MM. Trondheim et Sfar sont aussi intéressants que ça… Le problème se pose d’ailleurs plus violemment avec le volet « moderne » du Donjon proposé dans Antipodes+ qui, depuis le début, afin de pallier à la disparition de tous les mythes du Donjon, a allègrement pioché dans des références « pop » sans doute trop éloignées du sujet original : on a déjà pointé la proximité avec Pacific Rim (les énormes robots « pilotés » chargés de protéger la ville de monstres apparaissant de failles dans la croute terrestre), Indiana Jones (la recherche de trésors mythiques porteur de secrets terrifiants dans des cités englouties dans la jungle), mais on peut aussi avec ce troisième volume, Changement de programme (la rythme en « ane » dans le titre étant donc définitivement enterrée en faveur de « ame ») ajouter que ce monde de crapules sans foi ni loi, où règnent violence et corruption et où les personnages sont des animaux, nous rappelle Blacksad ! On pourra rattacher l’invincibilité de Rubéus Khan dans les combats à mains nues à celle d’Obélix – car on massacre les ennemis ici sans plus de complexes que les Romains chez Goscinny et Uderzo. Quant à la référence à Goldorak, rappelons aux auteurs que, utilisée de la même manière, elle a déjà débouché en le pire Astérix de tous !
Mais le problème de ce Changement de programme, au titre significatif, est encore ailleurs : si cette histoire d’un retour « triomphal » à la vie publique de notre héros, seul capable de mener efficacement la lutte de la ville contre les monstres, mais pas pour autant débarrassé des manipulations de son oncle diabolique, est divertissante comme il se doit, on pourra grincer occasionnellement des dents devant la maladresse d’un humour qui s’exerce au dépens des prostituées (qui ne travaillent plus dès qu’on leur retire leurs macs) ou des drogués (qui se désintoxiquent dès que leur addiction n’est plus dangereuse). Manquant singulièrement d’empathie, Sfar et Trondheim ont ici tendance à se moquer des plus « faibles », comme le personnage de Mimi, femme désespérément amoureuse ; plus loin, on passe bien légèrement sur le massacre des jeune recrues féminines de Rubéus Khan. Rien de grave, certes, mais assez de signaux faibles pour qu’on ne rie pas franchement devant les nombreux gags qui tentent de faire diversion par rapport à une histoire n’avançant pas assez dans ce troisième tome.
Si l’on ajoutait que le rythme de parution de la série n’est pas très élevé non plus, on pourrait imaginer que Sfar et Trondheim ne savent plus vraiment quoi faire de ce rejeton lointain et artificiel du Donjon. Gageons que le quatrième volume sera critique pour savoir si Antipodes+ doit se poursuivre ou non.
Eric Debarnot