Lauréat du Prix Maison Rouge Biarritz, Victor Dumiot signe avec Acide (2023), son premier roman, une œuvre brûlante, renversante et déstabilisante. L’auteur nous plonge dans l’univers de deux personnages qui représentent parfaitement les questionnements majeurs de notre époque, oscillant entre les thèmes de la solitude, de la quête identitaire et de la reconstruction de soi.
« Mon nouveau moi était une bête à domestiquer. Je devais le faire tenir dans les parois de mon esprit. Me dire que ce corps étranger était finalement le mien. »
Ce sont les mots de Camille, une jeune femme de 27 ans, qui s’apprêtait à passer une soirée tout à fait banale avec ses amis avant de subir une terrible attaque à l’acide dans le métro parisien. En quelques secondes seulement, elle perd son visage, terreau de son identité, et aux yeux de la société, son humanité. D’un autre côté, par effet miroir, Julien, un homme paumé et dépressif, est addict aux vidéos pornographiques qu’il trouve sur le Dark Web. Un moyen de passer le temps, de contrer la solitude qui l’étouffe, de se complaire dans un monde virtuel qui n’a pas de limite. Un jour, il tombe sur la vidéo de l’attaque à l’acide de Camille, et son obsession pour elle grandit. Son but ultime ? Retrouver cette femme dont il se nourrit de l’imaginaire, de sa souffrance – cette femme-fantasme, sans visage, qui devient sa muse.
Le thème de la monstruosité est récurrent en littérature, et il tire d’ailleurs sa substance d’un mythe marquant : celui de la Belle et la Bête. Avec Acide, Victor Dumiot l’interroge et le retourne avec deux figures de monstre. Camille est la Belle qui devient la Bête ; les deux représentent les facettes de la même personne, à l’image des bustes qu’elle commande à un sculpteur pour illustrer ces parties d’elle-même qui s’entremêlent. Elle cherche à se reconstruire, à s’approprier cette nouvelle identité, à se retrouver aussi, bien que perdue dans les lambeaux de peaux qui constituent aujourd’hui son visage : « Le monde n’avait pas changé. Moi, au milieu de ce monde-là, immobile qui continuait de tourner, de se mouvoir, d’avancer, j’étais relâchée. J’incarnais l’élément perturbateur, la dissonance visuelle, existentielle. J’étais stridente. »
Julien est un autre monstre, terré dans son monde à la fois pervers et violent, qui révèle pourtant une souffrance plus grande : celle de ne pas être compris, celle de vivre dans une solitude totale, de représenter le rejeton d’une génération égocentrée, perdue dans les méandres de la perversion virtuelle. A la manière d’un Fenêtre sur cour, les deux personnages s’observent, se frôlent, mais ne se touchent pas. C’est un jeu de fuite, de lutte, de voyeurisme qui se tisse entre eux, car tous deux ne sont que des âmes errantes, en quête d’eux-mêmes, en proie à un monde qui ne se souviendra jamais de leurs souffrances.
Acide est un roman brûlant, où la véritable beauté ne vient pas du cœur, comme le conte de la Belle et la Bête suggérait, mais peut-être du cheminement qui nous pousse à reconstruire notre identité, à se connaître sous toutes les coutures d’une peau détruite par le temps et d’une âme qui résiste. C’est un roman puissant, tranchant, qui fait mal car il fait appel à nos parties les plus sombres pour mieux les mettre en lumière. C’est un roman qui interpelle, qui ne laisse pas indifférent, car peu importe la réaction qu’il provoque, elle vient de l’âme. Et, n’est-ce pas la véritable force d’un livre ? S’en souvenir, s’interroger, ressentir en sa chair l’impact des mots au fil du temps, laissant les interprétations se révéler petit à petit.
Avec Acide, Victor Dumiot réussit à rendre hommage à la Bête en nous. Pour un premier roman, l’auteur ne cherche pas à plaire, à caresser la littérature dans le sens de la bienséance. La force de l’œuvre de Victor Dumiot se trouve dans le choc, la brûlure cathartique que nous laisse ses mots empreints d’une vérité et d’une authenticité rares.
Manon Lopez