Plus concis que Darkfighter, son prédécesseur paru en juin, Lightbringer est aussi plus ambitieux, audacieux et affranchi des contraintes formelles. Rival Sons prouvent que le respect d’un lignage rock passe avant tout par une grande exigence dans l’écriture des chansons.
On attendait de pied ferme le second volet du diptyque initié début juin avec Darkfighter, où Rival Sons distillaient leur heavy blues vintage pour en tirer une sensibilité intemporelle, digne de figurer dans le haut du panier rock de leur époque. Sur ce petit frère automnal, le tigre de la pochette charrie un feu aveuglant, et sa silhouette verdâtre apparaît désormais grotesque et antédiluvienne, avec ses crocs en dents de sabres comme la marque d’une ère révolue ou d’une ambition vorace. Jay Buchanan décrivait Darkfighter comme le reflet d’une période tourmentée marquée par les décès de proches, alors que la crise sanitaire avait mis les tournées à l’arrêt et que la crise politique américaine faisait rage après le meurtre de George Floyd. L’espoir revint au chanteur avec la naissance d’un enfant, suivie par un déménagement en Californie. Là où son prédécesseur sondait les ténèbres, Lightbringer aborde donc l’avenir avec une énergie renouvelée. Avec ses arpèges folks délicatement suivis à la cymbale ride, DARKFIGHTER annonce pourtant une couleur aussi trompeuse que son titre, directement chevillé à celui de l’opus précédent. Sans trop vouloir décomposer l’écoute, disons que ça commence très soft pour péter dans les grandes largeurs avant la seconde minute. Et là, tout se mélange. Guitares slidées, batterie Zeppelinienne, accords acoustiques, chant de stentor hanté, basse volubile, riffs volcaniques, orgue Hammond, bref, c’est la bonne grosse fête du slip version hard blues épique.
Tout cela sent très fort la captation live en studio, même s’il est évident que les guitares ont bénéficié d’overdubs puisque Scott Holiday est seul à son poste. Profitons-en d’ailleurs pour louer sa performance saisissante. Si l’écoute de Darkfighter faisait noter la retenue perceptible de ses solos, il semble qu’il ait privilégié l’approche inverse sur Lightbringer. Si sa concision permettait aux chansons du premier volet de s’imposer plus facilement à l’écoute, ce second opus est mené tambour battant sous le signe de la jam débridée, dont cette première chanson est un bel exemple. Les suites d’accords bifurquent vers un rock jazzy, proche de ce que pratiquent King Gizzard dans leurs projets les plus terre-à-terre. La différence essentielle entre les deux groupes réside bien entendu dans la présence de Buchanan, chanteur homérique à l’organe enflammé, mais les trois minutes centrales de la composition sont purement instrumentales. Holiday occupe le devant de la scène pour un solo d’une grande élégance, alternant entre acrobaties acoustiques et banderilles de fuzz sanguinolente. Le Hammond de Todd Ögren lui répond avec grâce avant la reprise du chant, qui amorce une dernière cavalcade où s’incrustent des cordes cinématiques. S’ensuit Mercy, rock anguleux et groovy dans la lignée d’un Pressure And Time, avec toutefois cette mélancolie majestueuse qui dominait Darkfighter. Le refrain est glorieux, les riffs claquent et Holiday s’arroge un nouveau solo permettant d’apprécier la musicalité de son jeu. Sans jamais tomber dans le fétichisme masturbatoire ou le poncif référentiel, il mélange slide, pédale wah et feedback chauffé à blanc pour mieux intégrer ses leads à la substance musicale des chansons. Sans vouloir désavouer les shredders olympiques, on aurait envie d’encourager le commun des six-cordistes rock à suivre ce genre d’exemple.
Redemption calme l’orage pour proposer la première véritable ballade de l’album. Comme toujours avec Rival Sons, le rendu est particulièrement seyant. Buchanan est aussi convainquant en soul man à fleur de peau qu’en paladin hard rock, et le goût de Holiday pour le mélange d’acoustique et d’électrique produit de savoureux contrastes. Sweet Life déboule sur une batterie musculeuse, vite rejointe par un riff qui ferait bien saliver Jack White. Le groupe joue soudé comme un seul être, même si la charge est menée par le timbre aiguisé de Jay, qui livre une superbe prestation en fusionnant les extrêmes de son registre au sein d’une même chanson. Les couplets sont bluesy et habités, classieux et intemporels comme un beau smoking deux pièces. Les guitares restent en retrait pour mieux propulser le hard rock des refrains, où le frontman pousse son timbre pour coller à leur distorsion. Gageons que tout cela fera des merveilles sur les planches. L’acoustique est à nouveau à l’honneur sur l’introduction de Before The Fire, dont le titre fait écho au tout premier album du groupe. Le texte, confession d’une âme aux prises avec la perte de son innocence et l’approche d’un futur ambivalent, pourrait parfaitement s’appliquer aux dilemmes imposés à l’esprit créatif par les tranchées cauteleuses de l’industrie musicale, même s’il est probable que ce ne soit pas le sujet en présence. Le riff est baroque, avec une rythmique en balayage sur une batterie agile et puissante. Buchanan tire de longues notes pleines d’émotion et Holiday sculpte un nouveau solo fredonnant. La tentation de présenter tout cela comme un contre-exemple réussi au dernier album de Greta Van Fleet (que Dave Cobb a également produit) est finalement éclipsée par la qualité de la chanson en elle-même, preuve que les réflexes de comparaison cessent d’être pertinents face à une production dont l’identité se révèle marquante.
Lightbringer arrive à son terme avec Mosaic, à coup sûr l’une des plus belles chansons signées par le groupe. Le refrain est taillé pour les foules sans perdre en charge émotionnelle, car sa mélodie est instantanément touchante. La composition musicale est à la fois rustique et sophistiquée, puisant dans un lignage ancien pour toucher la grâce d’un Jeff Buckley, non loin de ce qu’accomplissent encore souvent Alter Bridge dans un registre plus métallique. Toutefois, Rival Sons ne sont pas plus une version roots d’Alter Bridge qu’ils ne sont une alternative pertinente à Greta Van Fleet (ce serait d’ailleurs le cas de beaucoup de groupes). Du moins, ça ne devrait pas constituer une grille de lecture à part entière. Interrogé sur l’intention animant ce double projet tigré, Jay Buchanan déclare que l’objectif était avant tout d’approfondir l’écriture des chansons. Aller plus loin, pour contrecarrer certaines facilités de formatage, sans pour autant chercher à se poser en ré-inventeurs de roues. L’écoute de Darkfighter faisait constater la réussite du projet, et Lightbringer prouve que Rival Sons, après avoir franchi une nouvelle étape d’ambition et de maturité, nous réservent encore bien des surprises. Si le but n’est pas de réinventer la roue, autant être d’excellents conducteurs.
Mattias Frances
Rival Sons est pour moi une révélation, son album déclencheur n’est autre que le grand frère de celui ci (Darkfighter). Quelle claque, quelle émotion. je les écoute en boucle. je me suis du coup intéressé aux précédents opus, que j’avais un peu survolé, sans trop m’y attarder. et franchement c’est un groupe qui mérite d’être connu et reconnu, tous les albums sont bons, même si je le répète « Darkfighter » est le plus abouti, le plus vibrant. Bravo à eux et longue vie ..
@Joeblue
J’avais pris conscience de leur existence autour de Pressure & Time, mais Head Down fut la première sortie que j’ai véritablement examinée. Je garde une tendresse particulière pour Great Western Valkyrie, qui symbolisait une première montée en puissance, à mon sens. Je serais d’accord pour dire que Darkfighter se classe parmi leurs meilleurs travaux, même si ce second volet me parait du même niveau. J’ai du mal à ne pas voir les deux albums comme une seule entité, au final.
Ravi de pouvoir partager votre enthousiasme :)