Cette adaptation très réussie d’un roman de Yasmina Khadra nous montre avec l’histoire d’un jeune garçon devenu terroriste comment l’Irak a été précipité vers un cycle destructeur par les Occidentaux.
Un jeune Bédouin vit paisiblement avec ses parents quand les GI investissent leur modeste maison et malmènent le patriarche devant sa famille. L’humiliation du père va faire basculer la vie du fils, qui va alors se métamorphoser en un prétendant au suicide terroriste.
Les adaptations de romans en bandes dessinées m’ont rarement convaincu, mais celle-ci fait exception. L’extraordinaire force de la tragédie de Yasmina Khadra et la qualité d’écriture de ses personnages transcendent l’album. En adaptant son roman, Winoc nous présente le point de vue des ceux que nous appelons les terroristes, les humiliés et ceux qui les manipulent.
Le narrateur est un jeune bédouin d’une vingtaine d’année, dont nous ignorerons le nom. Alors que son pays est occupé par l’armée américaine, il a quitté l’université pour se réfugier dans son village. D’un naturel réservé, il écoute les anciens commenter l’actualité. Peu regrettent le sanguinaire Saddam Hussein, mais l’inquiétude monte. Un jeune handicapé est froidement tué par un G. I, un mariage est décimé par un missile, puis, plus grave encore, son père est, sous ses yeux, humilié par des soldats. Mortellement déshonoré, il n’aspire plus qu’à la vengeance. Il fuit à Bagdad. Après un temps d’errance, il y retrouvera Omar, l’ancien soldat, rugueux mais sage, Yassine, le musulman exalté, et Sayed, le froid l’entrepreneur. Il découvre une ville tétanisée. Les attentats ne visent que marginalement les occupants. En détruisant l’État irakien, les Américains ont livré la ville à la guerre des gangs. On y meurt beaucoup. Maffieux, policiers et terroristes islamiques, qui souvent ont partie liée, tuent froidement, sans états d’âme.
Ancien officier de carrière de l’armée algérienne, Yasmina Khadra, tente de nous partager la détresse, puis la colère, des Orientaux et, plus largement, des populations du Sud Global, notre ancien « Tiers Monde », face à l’insolence et à l’inconscience occidentales. Les bavures sèment la haine, la haine appelle à la haine, qui sème la mort, fatalement injuste. La ronde macabre s’emballe et embrase le pays, puis ses voisins et, plus rarement, l’Occident.
Le dessin de Winoc est sobre, réaliste et efficace. Les teintes lumineuses de l’Orient se mêlent à la poussière des explosions et au sang de victimes innocentes. Si ses décors sont simplement posés, il a travaillé ses seconds rôles, très bien écrits par Khadhra, le père et les sœurs du narrateur, mais surtout Omar, Yassine, Sayed qui, une fois l’album déposé, ne vous quitteront pas de sitôt.
Stéphane de Boysson